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nous à Rome ; le jour où elle se verra en face d’un danger réel, le parti de la conciliation, de la prudence l’emportera. Jusque-là, nos conseils seront écoutés avec déférence, mais je doute qu’ils soient suivis. »

L’Italie agissait et parlait comme si déjà elle était maîtresse de Rome. Le gouvernement s’associait plus ou moins ouvertement aux manifestations du sentiment public. On était convaincu que la France ne reviendrait plus dans les états romains et qu’après deux occupations qui ne lui avaient valu que des ennuis, elle se garderait bien d’en risquer une troisième. Elle s’était interdit, d’ailleurs, tout retour en consacrant le principe de la non-intervention, et les événemens de 1866 la mettaient sur le Rhin en présence de la Prusse.

Aussi les affirmations nationales à la tribune du parlement ne soulevaient-elles aucune objection sur les bancs des ministres. Le ministre de l’instruction publique trouvait naturel et légitime de s’attaquer, dans les discussions sur les biens ecclésiastiques, à la souveraineté temporelle du saint-siège et de répudier toute idée de transaction ; à ses yeux comme aux yeux de tous, Florence n’était qu’une halte. Notre envoyé protestait contre des théories aussi opposées aux arrangemens intervenus avec la France et que formulaient publiquement les membres du cabinet. Il n’obtenait d’autre satisfaction du président du conseil que des explications banales et la suppression dans le compte-rendu officiel des paroles d’un imprudent collègue.

Les beaux jours de notre diplomatie dans la péninsule étaient passés : elle n’était plus ni consultée, ni sollicitée, elle voyait son influence décroître, elle en était réduite à la tâche ingrate de relever des propos malsonnans, de gourmander les hommes politiques et, ce qu’on ne pardonne pas, de leur rappeler leurs engagemens et les services rendus. Bans le vouloir, elle froissait les susceptibilités d’un peuple impatient de secouer une tutelle gênante et de franchir le dernier obstacle qui s’opposait à la réalisation de son rêve. Elle voyait tristement s’accomplir ce qu’elle avait prévu et ce qu’elle n’avait pas craint d’écrire. Lorsque notre ministre à Florence disait, dans une de ses correspondances, « qu’on accusait l’empereur d’avoir été dupe ou complice des ambitions italiennes en signant la convention du 15 septembre, » il allait jusqu’à la dernière limite de la franchise autorisée vis-à-vis d’un souverain.

L’empereur ne pouvait plus se faire d’illusions : la pensée qu’il avait poursuivie obstinément se retournait contre lui. Il en ressentait un amer chagrin. Pouvait-il s’attendre à voir son dévoûment constant à la cause italienne méconnu à ce point ? Il n’était pas préparé à un changement si rapide, si profond dans les sentimens d’un pays qu’il avait soutenu dans les mauvais jours