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ces régions n’ont cessé depuis de rester terre ferme, et les mouvemens du sol, s’il y en a eu, n’ont pas été de nature à favoriser le retour offensif des flots. — Ou bien encore, comme en Scandinavie, ce sont des régions en grande partie constituées par des roches cristallines très anciennement émergées et que les mers primitives ont abandonnées de très bonne heure pour ne plus jamais les envahir. — Mais s’il est des régions dénuées d’histoire, faute de notions suffisantes et par suite de l’extrême simplicité des élémens qui entrent dans la composition de leur sol, il en est en revanche dont les bouleversemens répétés rendent l’interprétation des plus difficiles. C’est ce qui arrive dans le voisinage des grandes chaînes. Les plissemens et les fractures, les failles, les poussées latérales, les redressemens jusqu’à la verticale et même les renversemens de couches, tous ces phénomènes qui tiennent à l’activité des forces intérieures une fois mises en jeu, se manifestent à chaque pas que l’on fait lorsqu’on remonte les vallées et les pentes alpines. Le stratigraphe, à force de perspicacité, trouve la clé et restitue le vrai sens de chacun de ces problèmes ; il en poursuit l’explication de localité en localité et rejoint parfois les fils égarés de la trame des événemens d’autrefois. Mais la puissance même, nous dirions volontiers l’énormité de pareils événemens, capables d’avoir fait surgir des masses granitiques des profondeurs du sol éventré, au travers des assises rompues ou triturées, devient un obstacle à la juste appréciation de l’état de choses antérieur, et, par suite, à la reconstitution méthodique de celui-ci. — Il n’en est pas ainsi de certaines régions moins tourmentées que les Alpes et plus accidentées que la Russie, qui se sont formées graduellement à l’aide de mouvemens partiels et successifs. Émergées peu à peu, elles se sont accrues en ajoutant de nouveaux espaces à l’étendue primitive, d’abord restreinte à d’étroites limites, puis agrandie et transformée d’une période à l’autre. Là se rencontrent encore apparens les indices des anciennes vicissitudes. Les retraits de la mer élargissant par zones concentriques l’espace continental, de même que ses retours à certains momens ou encore l’action intermittente des eaux douces, remplaçant les eaux salées par des lacs ou des bassins fluviatiles, tous ces accidens si divers se laissent analyser sans trop de peine, et l’histoire du passé, embrassant les révolutions matérielles et les êtres vivans de chaque période, se trouve remise en pleine lumière avec ses traits propres et sa physionomie caractéristique.

C’est en suivant cette voie et en s’attachant à l’une des contrées les mieux disposées pour faire ressortir un ordre pareil de phénomènes qu’Oswald Heer, dont nous avons ici même analysé l’œuvre, a écrit son livre de la Suisse primitive. Mais d’autres pays (et