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d’immenses troupeaux errant au sein des vertes solitudes, le long des grèves, sur la lisière des bois, à la surface des grandes prairies.

Auprès du Léberon, les troupeaux se composaient de gazelles élancées et légères, comme celles de l’Afrique intérieure, de cerfs encore rares, ornés de courtes défenses ; puis venaient les hipparions réunis en bande, à la façon des zèbres et des onagres. Ils se distinguaient à peine de ceux-ci par la structure de leur pied, dont le sabot principal était accompagné de deux sabots rudimentaires, que les solipèdes actuels gardent à l’état de vestige. A côté de ces ruminans et de ces jumentés, précurseurs des véritables chevaux, vivaient un sanglier de grande taille, un rhinocéros, enfin deux géans, dont l’un, le dinothérium, précède les éléphans et offre les traits confondus des morses, des lamantins et des proboscidiens ; tandis que l’autre, plus étonnant encore (Helladotherium), répond à une girafe agrandie. — Tous ces animaux se retrouvent à Pikermi ; mais à force de comparer les ossemens retirés du gisement de l’Attique avec ceux de Provence, l’esprit ingénieux de M. Gaudry a pu constater, entre les deux catégories, des différences très faibles et cependant trop constantes pour ne pas fournir une preuve de l’existence de races locales que le temps aurait sans doute accentuées si, de part et d’autre, elles fussent restées parquées dans des régions distinctes et sous des climats pareils, mais non absolument identiques. — De plus, à Pikermi, à côté des animaux qui viennent d’être énumérés, on a rencontré des singes dont les caractères mixtes semblent destinés à relier les macaques aux guenons. Les singes ne se montrent pas en Provence ; mais on y trouve les traces du machœrodus, ce tigre, plus redoutable qu’aucun de ceux d’aujourd’hui, dont les canines, conformées en sabre, constituaient une arme terrible. M. Gaudry a pu relever la présence, à Cucuron, de plus de cinq cents hipparions ; les gazelles sont à peine mobs nombreuses et l’on a dû se demander d’où provenaient tant de restes accumulés dans un limon rougeâtre d’une faible étendue. Une inondation subite, une secousse du sol aurait-elle surpris tous ces animaux ? Mais l’aspect du gisement oblige à croire que le transport des divers débris n’aurait en lieu qu’assez longtemps après la mort des individus auxquels ils se rapportent. Les eaux ont charrié et enseveli dans l’argile du dépôt, non pas des cadavres entiers, mais des portions de squelettes déjà disjointes ; et, le plus ordinairement, les ossemens ont été accumulés dans un désordre tel que le remous capricieux de la vague a pu seul le réaliser. Peut-être, au lieu d’une catastrophe détruisant, comme on le suppose, les animaux de la contrée, serait-il plus conforme à la probabilité de faire appel à des crues périodiques, ou même aux accidens d’un fleuve sujet à sortir parfois de ses limites habituelles, et, balayant le sol d’une région