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promettant de faciles victoires, et maintenant ils ne savent trop comment en sortir. La séparation de l’église et de l’état peut ainsi être un jour prononcée par des hommes qui, hier encore, s’en proclamaient les adversaires résolus. Les ministres, dans leurs déclarations, l’agitent comme un épouvantail contre le clergé. Les commissions du budget, dans leurs rapports, se vantent de la préparer. De fait, il est vrai, ministres et députés lui demeurent en majorité opposés ; mais aujourd’hui nos chambres et notre gouvernement ne font pas toujours ce qu’ils veulent, ou ne veulent pas toujours ce qu’ils font. Les ministres sont souvent étonnés de ce qu’ils proposent, les députés affligés de ce qu’ils acceptent. Leur politique religieuse peut les entraîner jusqu’à une extrémité que la plupart redoutent. A la façon dont ils procèdent, ils risquent de s’y trouver bientôt acculés. Aussi la dénonciation du concordat est-elle une éventualité qu’il est bon d’envisager pendant qu’il en est temps encore. La France doit-elle s’y laisser conduire, que ce soit au moins les yeux ouverts, en voyant où on la mène.


I

On demande la séparation de l’église et de l’état, mais peut-on dire qu’en France l’église et l’état soient aujourd’hui réellement unis ? Nos lois ou nos mœurs politiques consacrent-elles encore l’association de ce que nos pères appelaient les deux pouvoirs ? Qu’on se rappelle comment le moyen âge concevait l’union « des deux luminaires » destinés à présider de concert aux sociétés humaines. Trouve-t-on rien de pareil chez nous ? Nos juristes sont-ils les disciples des scolastiques et enseigne-t-on, dans nos écoles, que la première condition d’un bon gouvernement est l’alliance et l’intime coopération de l’état avec l’église ? Voit-on dans les chambres de la république française, comme autrefois dans les palais des républiques italiennes, à Sienne, par exemple, des fresques symboliques, chargées de rappeler sans cesse à nos législateurs ce principe fondamental des sociétés chrétiennes ?

De nombreux états catholiques ou hétérodoxes ont, avec plus ou moins de logique, poursuivi, durant des siècles, ce noble et décevant idéal. Or, nous le demandons de nouveau, que reste-t-il en France aujourd’hui de cette ancienne tradition des âges de foi ? Où est, encore un coup, l’union entre l’église et l’état ? Avant de la briser il importe de savoir en quoi elle consiste.

Est-ce qu’en France les commandemens de l’église sont lois de l’état ? Est-ce que ses préceptes font autorité vis-à-vis de la législation ou des tribunaux ? Le repos du dimanche est-il consacré par la loi, comme il l’est encore en tant d’états contemporains ? La