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demeure incontestablement aujourd’hui, tout comme à l’enfance des sociétés, un agent de moralisation, un agent d’éducation. Sur le roc de l’égoïsme, sur le sable de la frivolité, elle sème gratuitement la vertu et le dévoûment, et, pour les maux de l’existence, elle a des consolations dont nul autre ne possède le secret. Elle dresse le pauvre à la patience et à la résignation, le riche à la charité et à l’humilité. Elle enseigne l’égalité et la fraternité. À ce titre, l’état et le gouvernement ont tout profit à l’encourager et à en subventionner les ministres. La religion reste en somme la plus profonde comme la plus ancienne base des sociétés humaines. Telle est la vérité, tel est, pour tout homme sans préjugés, le point de vue pratique, et en politique, rien encore une fois ne vaut le point de vue pratique. A cet égard, il ne saurait, en dehors des fanatiques de la libre pensée, y avoir de doute pour personne. L’intérêt social est évident et l’état n’a pas le droit de s’en désintéresser. C’est là un tel lieu-commun qu’insister serait faire injure au lecteur ; nous nous le permettrons d’autant moins que nous l’avons récemment fait ailleurs[1]. On a le droit de se demander s’il peut y avoir un peuple libre, sans foi à Dieu et à la liberté morale ; il n’est pas permis d’imaginer que la société et la morale publique aient à se féliciter du déclin du sentiment religieux.

Nous sommes, pour notre part, de ceux qu’effraie l’extension croissante des fonctions que s’arroge l’état. Nous sommes aussi de ceux qui professent l’incompétence de l’état en matière de foi et refusent au pouvoir le droit d’imposer un dogme religieux ou philosophique. À ce double égard, nous serions résolument opposés à ce que l’état s’ingérât dans les affaires de la conscience individuelle ; à ce qu’il prétendit s’ériger en maître et en directeur des âmes. Si nous dénions à l’autorité publique le droit de violenter les consciences ou de prendre parti dans les querelles théologiques, nous croyons que, au point de vue du bien de la société et du véritable patriotisme, l’état a tout avantage au maintien et à la diffusion des idées religieuses qui, pour nombre de créatures humaines, se confondent avec l’idée même du devoir. Cela seul, à notre sens, l’autoriserait à subvenir aux frais du culte, ce qu’il peut faire, pour son propre bien et pour sa propre fin, sans devenir le champion d’aucun dogme, en conservant même la neutralité entre les diverses doctrines. N’est-ce pas ainsi, du reste, que les choses se passent en France ? En pareil cas, qu’on veuille bien le remarquer, si l’état prête à la religion un concours pécuniaire, c’est en vue d’avantages

  1. Voyez les Catholiques libéraux, l’Église et le Libéralisme de 1830 à nos jours. Paris, 1885, chap. I.