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civil, Napoléon n’a fait qu’exécuter un legs de la révolution, qu’achever la tâche entreprise par elle[1]. Il l’a fait avec plus de sens pratique ou plus de connaissance des choses, éclairé par les erreurs et les mécomptes des auteurs de la constitution civile du clergé. Il l’a fait d’accord avec l’église, de façon que ce qui était un engagement de l’état est devenu un contrat entre l’état et la papauté. Ce n’est qu’à ce titre, du reste, en échange du traitement promis à ses ministres, que l’église, dûment représentée par le souverain pontife, s’est désistée de toute revendication de ses biens confisqués[2]. Le budget des cultes constitue ainsi, devant l’histoire, une véritable dette, et cela est si vrai que la révolution l’avait elle-même formellement considérée comme telle[3].

On se plaît souvent à comparer les rapports actuels de l’église et de l’état à un mariage mal assorti dont les deux conjoints ont intérêt à rompre les chaînes. Dans ce cas, le concordat est le contrat de mariage des deux époux. Ils ne peuvent se séparer sans renoncer aux avantages qu’ils se sont assurés par ce contrat ; et, pour l’état, l’un de ces avantages est la paisible jouissance des biens ecclésiastiques. On prétend, pour le bien mutuel des deux intéressés, prononcer le divorce. Très bien ; mais, en cas de divorce, il est d’usage de rendre à la femme la fortune apportée par elle. Or ici la dot, ce sont les biens de l’église auxquels l’église n’a renoncé, par l’organe de Pie VII, qu’en échange d’une indemnité. Renvoyer la femme et garder la dot sans même lui faire de pension, c’est un procédé qui, dans tous les pays du monde, passerait pour peu correct. Veut-on effectuer quand même la séparation : qu’on abandonne à l’église ce qui lui revient légitimement, ce que l’état a, en 1801, comme en 1789, juré de lui conserver ; qu’on capitalise à son profit le budget des cultes et qu’on lui en remette le montant en titres de rente, ou bien, si on le préfère, qu’on lui en serve à perpétuité les intérêts en les inscrivant au chapitre de la dette. Voilà quelle serait la séparation équitable qui ne violerait aucun droit. Elle consisterait à rendre à l’église sa liberté en lui laissant ses revenus. C’est à peu près ce qu’ont fait nos voisins de Belgique ; mais ce n’est pas du tout ce qu’on parait vouloir faire chez (1)

  1. Bonaparte était si bien, à cet égard, l’héritier et le continuateur de la constituante que le concordat, article 14, reproduit les termes mêmes du « décret » de la constituante du 2 novembre 1789, et, comme ce dernier, promet aux ministres du culte un traitement « convenable. »
  2. Articles 13 et 14 du concordat.
  3. « Sous aucun prétexte, les fonds nécessaires à l’acquittement de la dette nationale ne pourront être refusés ni suspendus… Le traitement des ministres du culte catholique fait partie de la dette nationale. » (Constitution de 1791, titre V, art. 2.)