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forges, en filatures, en usines, à la grande édification des philosophes de village et des grands esprits de cabaret, fiers de voir la vapeur remplacer l’inutile fumée de l’encens. Car ce qui, aux yeux de maint électeur, condamne ces monumens de la religion, ce qui en fait le crime et leur vaut beaucoup de leurs ennemis, c’est précisément qu’ils ne servent à rien, qu’on n’y fabrique et n’y produit rien. N’est-ce pas là, pour des hommes de progrès, un abus dont il serait temps de faire cesser le scandale ? Ils ne sentent pas, ces apôtres du progrès, qu’en face du culte triomphant des intérêts matériels, il est bon qu’en chaque village, au milieu des hommes les plus accablés par les soucis de l’existence, il y ait un monument en apparence inutile, qui n’abrite qu’un hôte invisible, qui ne rapporte rien, qui ne serve à rien si ce n’est, chose fort dédaignée de quelques-uns, à former des hommes honnêtes et des filles chastes. Or, c’est là précisément ce qui, en dehors de toute considération religieuse, fait le prix et l’honneur de nos plus humbles églises de campagne : c’est que leurs clochers d’ardoise ou de tuiles rouges protestent contre l’envahissement de la vie matérielle et l’abject utilitarisme du jour ; c’est que la voix aérienne de leurs cloches rappelle aux plus grossiers que la destinée de l’homme peut ne pas se borner à la production et au travail quotidien. Et cela, nos paysans en gardent eux-mêmes parfois un vague sentiment, et c’est pour cela qu’indépendamment de toute foi chrétienne, bien des villages tiennent encore à leur église.


V

Un des meilleurs moyens d’élucider un problème politique, c’est de chercher les cas analogues au dehors. Rien ici de plus instructif que la comparaison. Laissons donc un moment la France et nos théories, nos préjugés ou nos passions ; voyons comment on entend la séparation de l’église et de l’état là où elle existe ; comment on prétend l’effectuer là où on la prépare. Examinons les modèles, puisqu’il y a des modèles qu’on propose sans cesse à notre imitation. Que nous apprend l’exemple de l’Angleterre, qui a récemment opéré la séparation en Irlande et qui songe à l’essayer dans la Grande-Bretagne ? Que nous enseignent les États-Unis, la terre classique de la liberté religieuse, où l’état et les diverses églises vivent sans liens et sans querelles, n’ayant jamais fait meilleur ménage que depuis leur divorce ?

La question si intempestivement posée en France ne nous est pas particulière ; la démocratie contemporaine l’agite en d’autres pays de l’Europe, chez nos voisins d’outre-Manche notamment. L’Angleterre nous offre à cet égard un curieux parallèle. Chez elle aussi, un parti, dont