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familles, les jours où ils ne produisent pas. C’est donc bien réellement une perte sèche pour le pays que celle qui résulte de leur vice.

En ce qui concerne les accidens et les maladies, on sait que d’alcool en est souvent la cause chez les paysans comme dans la classe ouvrière. En évaluant le nombre des blessés et des malades par alcoolisme à un dixième du nombre total, je suis certain, cette fois encore, de rester au-dessous de la vérité. Or, j’ai prouvé dans mes recherches sur la valeur économique de la vie humaine, que la maladie coûtait chaque année à la France, en frais de traitement et de chômage, 708,420,585 francs, dont le dixième constitue une nouvelle somme de 70,842,000 francs à porter au compte de l’alcoolisme.

Il paie un tribut plus considérable à l’aliénation mentale. Le nombre des fous que l’ivresse amène dans les asiles a été en moyenne de près de 14 pour 100 pendant la période de dix ans comprise entre 1866 et 1876. Or, abstraction faite des aliénés qui restent dans leurs familles et échappent, par conséquent, au calcul, ceux qui sont traités dans les établissemens spéciaux coûtent par an au pays 16,580,703 francs, dont les 14 centièmes, soit 2,321,300 fr. incombent à l’alcoolisme.

La proportion des suicides qui lui sont dus est à peu près la même, d’après Lunier (13.41 pour 100). Or, il y a en France 6,638 suicides par an, dont 5,184 hommes et 1,454 femmes. Comme ce sont presque toujours des personnes dans la force de l’âge, on peut évaluer la valeur économique de la vie des premiers à 4,000 francs et celle des secondes à 2,000, ce qui, à raison de 13.41 pour 100, donne une nouvelle somme de 3,170,000 (francs à porter au compte de l’alcool.

Faisons maintenant la part des frais de justice. Les statisticiens estiment que près de la moitié des crimes sont dus à l’alcool. Baër, de Berlin, a trouvé qu’en Allemagne la proportion était de 43.9 pour 100 pour les hommes et de 18.1 pour 100 pour les femmes. En Belgique, la proportion est encore plus forte. En Angleterre, en 1877 et 1878, sur 676,000 crimes, 285,000 relevaient de l’alcoolisme. Supposons qu’en France la proportion soit un peu plus faible et estimons-la à 40 pour 100 ; comme le service des prisons, les frais de transféreraient et les dépenses de la transportation s’élèvent ensemble à 22,236,304 francs par an, 40 centièmes, soit 8,894,500 francs, doivent être portés au compte de l’ivresse. Je ne parle pas des frais de poursuites, parce qu’on m’objecterait avec raison que, l’alcoolisme vînt-il à disparaître, il n’y aurait pas un tribunal ni un juge de moins. C’est pour la même