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des remèdes à longue portée. Avant que l’instruction et le bien-être aient modifié les goûts et les idées des classes inférieures, il s’écoulera bien des années, et, pendant ce temps-là, le flot de l’alcoolisme monte toujours. Il serait donc imprudent et déraisonnable d’attendre plus longtemps pour y mettre obstacle, alors qu’on peut faire appel aux mesures législatives, dont l’action est plus efficace et surtout plus prompte. Celles qui ont été mises à l’essai jusqu’ici sont : le monopole de la fabrication et de la vente de l’alcool, l’élévation des droits et la répression de l’ivresse. Le monopole a déjà son histoire. Le gouvernement russe en a usé pendant plusieurs siècles, et ce n’est que de nos jours qu’il y a renoncé. La Suède a adopté un système qui consiste à laisser aux communes le droit de concéder l’exploitation des débits à des sociétés privilégiées chargées d’organiser la vente sans pousser à la consommation. Chacun voit immédiatement ce qu’une pareille concession produirait chez nous.

En Angleterre, M. Chamberlain a proposé d’abandonner entièrement aux communes le monopole de l’alcool. Ce système me paraît dangereux. Il n’est jamais prudent de transformer les communes en sociétés de commerce, surtout lorsqu’il s’agit d’un produit comme celui-là.

L’Allemagne entre dans la même voie. Le 8 février dernier, une commission du conseil fédéral a reçu communication d’un projet de loi attribuant à l’état le monopole et la vente des spiritueux et lui laissant toute liberté pour fixer le prix de vente dans les débits. Ceux-ci devaient être établis par l’administration dans toutes les localités, et les boissons alcooliques y auraient été vendues d’après un taux officiel. Le gouvernement espérait retirer 375 millions par an de ce monopole ; mais, dans sa séance du 27 mars dernier, le parlement allemand a rejeté le projet de loi par 181 voix contre 66. Le grand chancelier ne se considère pas comme battu ; il espère trouver le moyen d’atteindre son but en se passant de l’adhésion du parlement. Il est probable qu’en entrant dans cette voie, il s’est plutôt préoccupé des intérêts du trésor que de ceux de l’hygiène, et, comme en France, les nécessités budgétaires ne sont pas moins impérieuses, la même pensée a dû se produire dans notre pays. C’est de chez nous, du reste, que l’idée est partie. Elle a été formulée, il y a six ans, par un professeur de la faculté de droit de Paris, qui est en même temps un hygiéniste distingué. M. Alglave a exposé, le 2 juin 1880, dans la République française, un système dont l’Allemagne semble s’être inspirée, tout en le modifiant. Il l’a développé au congrès de Genève en 1882 et l’a reproduit tout récemment dans le journal le Temps. Ce système, dont on s’est beaucoup occupé dans ces derniers temps, a surtout pour but d’assurer la pureté des liqueurs distillées et de diminuer les dangers qu’entraîne leur consommation. Pour assurer cette garantie aux buveurs,