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été appliquée avec une certaine vigueur, de 1873 à 1876, on a prononcé en moyenne 70,659 condamnations par an pour ivresse tapageuse sur la voie publique. C’est le scandale qu’on a poursuivi ; mais, quant aux cabaretiers, les articles qui les concernent ont toujours été lettre morte. C’est qu’on ne veut pas se décider, en France, à considérer l’ivresse comme un délit. Ce n’est pourtant pas une fiction légale ; c’est bien un délit que commet celui qui se soustrait volontairement à l’empire de sa raison, perd la faculté de diriger ses actes, ruine sa famille, compromet l’avenir de ses enfans et les pervertit par le mauvais exemple. C’est un délit, et celui qui s’en rend complice est plus coupable que celui qui le commet, parce qu’il n’a pas l’excuse d’un penchant devenu irrésistible et qu’il n’a d’autre mobile que son intérêt. La répression de l’alcoolisme ne présente pas de difficultés. Le buveur est inconscient ; il se livre de lui-même et les cabarets sont d’une surveillance aisée. Quant aux pénalités, celles de la loi de 1873 suffisent. Cependant, il semblerait plus rationnel de se contenter de la prison pour les buveurs, qui sont le plus souvent insolvables, et de réserver l’amende pour les débitans, en y joignant la fermeture de leur établissement, après un certain nombre de condamnations encourues. L’article 6 de la loi de 1873 prononce bien cette peine pour le cas où les délinquans auront encouru déjà deux condamnations en police correctionnelle ; mais la fermeture ne peut pas excéder un mois, ce qui est complètement illusoire. Elle devrait être définitive : une personne qui s’est déjà fait punir deux fois ne mérite plus aucune confiance. L’interdiction définitive de se livrer, à cette industrie, étant prononcée par un tribunal, n’aurait pas le caractère d’arbitraire qu’où était en droit de lui reprocher lorsqu’elle dépendait de l’administration et que des considérations étrangères à l’hygiène et à la morale venaient s’en mêler.

La fermeture définitive a pour conséquence la nécessité de rétablir l’autorisation préalable avec les garanties sérieuses de moralité que le décret du 29 décembre 1850 exigeait des candidats à cette profession. Ce décret a été abrogé, en dépit des protestations unanimes des hygiénistes, par la loi du 17 juillet 1880 et, depuis lors, le nombre des débits a augmenté d’un quart dans certains départemens. Cela se comprend : c’est un commerce agréable et lucratif. Au dernier recensement, on en comptait en France, au dire de M. Léon Say 320,000, soit 1 pour 100 habitans et pour 25 consommateurs. Le nombre des cas de folie furieuse, des crimes, des suicides s’est accru dans les mêmes proportions. Ce résultat était facile, à prévoir. Dans les classes inférieures, les gens qui s’enivrent à domicile et avec préméditation sont rares. Je l’ai dit plus haut : c’est le cabaret qui les attire. Plus il y en a, et plus la séduction est