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l’éleveur céderait à bas prix, à un prix que depuis cinq ans il diminue à chaque saison sans trouver acheteur. La viande n’a pas de valeur, mais le suif et la graisse, que la France prenait encore il y a cinq ans, au prix de 110 francs les 100 kilogrammes, sont tombés à 60 ; la laine même a perdu depuis longtemps le prix de 2 francs le kilogramme et est à la veille de perdre celui même de 1 franc le kilogramme ; aussi, le gros bétail pampéen, qui, sur les rives de la Plata, se vendait encore, en 1880, 40 francs par tête à tout prendre, bœufs, vaches, taureaux et veaux en proportions inégales, et 80 francs les bœufs de boucherie, vaut en 1885, pour les troupeaux du premier type, 20 francs ; les animaux gras restent pour compte aux propriétaires, les plus heureux obtiennent 40 à 50 francs par tête pour la fleur de leurs troupeaux, pour les métis durham, prêts à être abattus : si l’on note qu’un cuir vaut de 18 à 25 francs, on aura la mesure de la dépréciation d’un bétail qui ne vaut plus debout ce que vaut sa dépouille à terre.

Il y aurait donc là, dans la pampa sud-américaine, une raison économique qui arrêterait la production ; mais c’est, à proprement parler, la seule : l’éleveur ne se décidera pas à abattre ses animaux, comme on le faisait au siècle dernier, tant qu’il aura devant lui des terres à bon compte, et elles ne sont pas rares. Pendant que le berger paie encore pour les pâturages de choix qu’exige le mouton des loyers qui lui enlèvent le plus clair de son revenu, des terrains sont offerts gratuitement aux bouviers par les propriétaires, qui entrevoient au loin une plus-value et s’en préoccupent plus que du revenu annuel. Le bouvier, pour s’établir, n’a à faire aucun débours ; un abri couvert de quelques peaux de chevaux est une mince dépense ; il y suspend un hamac fait aussi d’une dépouille du même genre et laisse paître. Dans les grands établissemens créés par de riches propriétaires, la dépense n’est pas plus forte ; si le troupeau n’est que de 2 ou 3,000 têtes, un homme suffit, à qui l’on abandonne, comme salaire, 10, 15 ou 20 pour 100 du croît et du produit. Il ne faut donc ni capital, ni personnel ; les nouveaux troupeaux sortent des anciens et donnent tous les ans de nouveaux essaims.

Si rien n’arrête cette production inutile, qui ne donne que des espérances, mais coûte peu de chose, la multiplication rapide du mouton est, au contraire, favorisée par le revenu annuel qu’il donne. Ce revenu de la laine a jusqu’ici été suffisant pour encourager et souvent enrichir l’éleveur, sous la seule condition de donner à son troupeau quelques soins, d’améliorer et d’augmenter le produit par des croisemens. Ce revenu a permis, depuis 1840, époque où quelques moutons errans dans la pampa étaient abandonnés à