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drame électoral se déroule depuis plus d’une semaine à travers toutes ses péripéties. Dès ce moment cependant, d’après les résultats connus jusqu’ici, le dénoûment ne parait plus guère douteux. Les proportions entre les élus des divers partis sont déjà telles qu’il n’y a plus que peu de place pour l’imprévu. Décidément, M. Gladstone, celui qu’on appelle toujours le « grand vieillard, » a trop présumé de ses forces et de son ascendant sur la nation. Il a trop cru à ces masses électorales auxquelles il a donné le droit de suffrage, à la popularité de son nom et de sa politique, à la possibilité de se passer de ses anciens amis, les libéraux, les « unionistes, » qu’il a sacrifiés à son alliance avec M. Parnell et les Irlandais. Il est visiblement vaincu, dans les villes d’abord, à commencer par Londres et même dans les comtés. Il a eu, il est vrai, la consolation, si c’est une consolation, de voir quelques-uns de ses adversaires les plus sérieux, M. Goschen, M. Trevelyan, échouer en Écosse, et, à la rigueur, si l’on veut, il peut se promettre encore des avantages dans les élections qui restent à faire ; il ne peut plus regagner assez pour compenser ce qu’il a perdu, pour retrouver la victoire. Les conservateurs l’emportent de toutes parts, plus qu’ils ne l’espéraient peut-être ; ils ont déjà près de 300 voix ; avec les libéraux unionistes dont ils ne se sont pas séparés dans la lutte, dont le chef, lord Hartington, vient d’être réélu, ils ont, dès aujourd’hui, plus que la majorité, et, dans les élections encore inconnues, ils auront vraisemblablement de nouveaux succès qui compléteront leur victoire. Toutes les chances sont pour l’opposition coalisée contre la politique du home-rule, sur laquelle le pays a été appelé à se prononcer par une sorte de plébiscite.

C’est M. Gladstone lui-même qui a engagé ainsi la bataille ; il l’a perdue, et la première cause de sa défaite est évidemment dans la gravité même de la question qu’il a soulevée. Il a eu beau atténuer ses projets, embarrasser ses adversaires ou les menacer des explosions irlandaises, déployer toutes les ressources de son éloquence : il n’a réussi qu’à troubler l’opinion sans la convaincre. Il a inquiété l’Angleterre dans le sentiment de sa puissance, il a surtout donné à l’opposition le plus redoutable des mots d’ordre, — la défense et la sauvegarde de l’intégrité de l’empire britannique. Pour un tacticien si habile, c’était une faute singulière, quoique peut-être inévitable. D’un autre côté, il faut l’avouer, le grand âge de M. Gladstone a pu contribuer à sa défaite. Non pas qu’il ait manqué à sa cause dans le combat, qu’il n’ait déployé jusqu’au bout son infatigable énergie, sa merveilleuse puissance de parole ; mais on s’est dit, on a dû se dire, que se lancer dans une révolution politique, sociale, nationale, sur la foi d’un homme qui est lui-même un vieillard, qui peut disparaître en pleine crise, c’était trop risquer, trop donner à l’aventure. L’opinion a reculé,