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nauld de Brescia. Les chroniqueurs et les théologiens du moyen âge ont appelé indistinctement patarins la foule de ces dissidens qui protestèrent jusqu’aux temps d’Innocent III et de Frédéric II contre les dogmes et la morale de l’église romaine. Ces hérésies étaient cependant bien différentes les unes des autres. Tandis que les purs arnaldistes se bornaient à réduire l’église séculière à une mission toute spirituelle, le catharisme, empreint de doctrines manichéennes, ne gardait plus de la foi chrétienne que l’évangile de saint Jean, quelques sacremens profondément altérés, tels que le baptême par l’imposition des mains et la théorie prédominante du Saint-Esprit. Les vaudois, dont le fondateur Pierre Valdo, précurseur hérésiarque de saint François, s’était volontairement dépouillé de ses richesses, afin d’être pauvre parmi les pauvres, n’avaient qu’une théologie fort médiocre, mais leur bonté d’âme et leur simplicité étaient admirables : communauté de petites gens qui s’appelaient eux-mêmes les humiliés et que méprisaient fort les bourgeois et les seigneurs, tantôt ils osaient prêcher sur les places publiques et forcer la porte des églises, tantôt ils fuyaient dans les montagnes et dans les bois ; aux jours de la persécution, leurs chefs allaient à travers les villages et les villes pour consoler les frères : véritables protées, dit un document de 1180, qui, chaque matin, changeaient de costume, pèlerins, barbiers, cordonniers, pénitens, laboureurs, selon la nécessité. Ils professaient le paupérisme, moins sévèrement, il est vrai, que les vaudois français. Les cathares occupaient les grandes communes et comptaient dans leurs rangs des barons, des bourgeois, des magistrats. Ceux d’entre eux qui n’aspiraient point à la dignité de parfaits aimaient la richesse et recherchaient la puissance.

Mais tous, pauvres lombards, cathares, patarins, ils réglaient leur conscience d’après les mêmes maximes essentielles. Ils répétaient sans cesse qu’il vaut mieux obéir à Dieu qu’aux hommes, à un bon laïque qu’à un mauvais clerc, que le laïque est égal au prêtre pour toutes les œuvres mystiques ; ils échappaient ainsi à l’église, à la confession et retrouvaient la liberté de la religion individuelle. D’autre part, de l’aveu même des inquisiteurs romains, ils étaient revenus à la fraternité évangélique ; ils tendaient la main aux pauvres, aux infirmes, aux prisonniers, aux exilés, aux orphelins ; ils fondaient des hospices pour les voyageurs et les malades, ouvraient des écoles gratuites, entretenaient leurs étudians à l’Université de Paris, portaient même leurs bienfaits aux orthodoxes. L’égalité chrétienne semblait ainsi retrouvée par les dissidens du christianisme et les ennemis de l’église.

« La malédiction de l’hérésie, dit Villani, a duré chez nous jusqu’à