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un frère qui trouvait Dieu trop sévère à son égard : « Si je ne connaissais ta simplicité, je te renverrais d’ici, toi qui oses blâmer Dieu des souffrances qu’il m’envoie. » Au printemps de 1226, on le ramena avec peine de Sienne à Cortone, puis à Assise, où il voulait mourir. Tous les habitans sortirent des murs pour le recevoir. L’évêque le prit dans sa maison, où il languit pendant six mois. Il ajouta en ce temps-là un verset au Cantique du Soleil, en l’honneur de sa sœur la mort. Le médecin l’ayant averti de l’approche de sa dernière heure, il se fit porter entre les bras des frères Sainte-Marie-des-Anges. Le cortège s’arrêta à la porte du couvent. Saint François demanda qu’on le mît à terre, le visage tourné vers la ville où avait été son berceau ; il leva la main droite et bénit Assise plusieurs fois en disant : « Sois bénie de Dieu, cité sainte, car, par toi, beaucoup d’âmes seront sauvées, et, en toi, habiteront beaucoup de serviteurs de Dieu, et beaucoup de tes enfans seront élus au royaume de la vie éternelle ! » Les frères le soulevèrent de nouveau et le déposèrent à l’infirmerie de la Portiuncule. Il se fit coucher sur un lit de cendres, dépouillé de sa robe. Le gardien lui ordonna, au nom de la sainte obéissance, de recevoir, à titre de suprême aumône, une tunique et un capuchon d’emprunt. Il ouvrit alors les bras et bénit les mineurs. La nuit était descendue déjà sur ses yeux ; il touchait les têtes inclinées, et on lui nommait l’un après l’autre chacun de ses fils. Le premier fut Élie de Cortone, qui devait trahir la règle de la pauvreté stricte, et faire un schisme dans l’ordre. Il se fit lire ensuite le Cantique du Soleil, comme pour dire adieu à la lumière du ciel et au sourire de la terre, puis, comme pour prendre congé de la sainte église, le chapitre de l’évangile de Jean qui commence par ces paroles : « Avant la fête de Pâques, Jésus sut que son heure était proche, et qu’il allait retourner de ce monde à son Père, et, comme il avait aimé les siens en ce monde, il les aima jusqu’à la fin. » Le lecteur continua jusqu’au dernier verset du XVIIIe chapitre et s’arrêta à la Passion. Saint François prononça les paroles du psaume : « Avec ma voix je crie vers le Seigneur ; avec ma voix je prie le Seigneur. » Les frères agenouillés, en larmes, faisaient le cercle autour du lit de cendres et priaient tout bas. Selon Celano et saint Bonaventure, ses derniers mots furent les suivans : « J’ai accompli ce que je devais faire ; Jésus-Christ vous enseignera ce qui vous regarde. Voici que Dieu m’appelle. Adieu, mes enfans. Demeurez dans la crainte du Seigneur. Le trouble et la tentation viendront ; heureux ceux qui persévéreront dans le bon chemin ! pour moi, je vais à Dieu ; qu’il ait pitié de vous tous ! » On était dans les premiers jours d’octobre ; c’était le soir, un soir d’automne italien, au long crépuscule azuré, et, dans le grand silence