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effet, qui sera sec si Voltaire fut sensible ? Et cependant on avouera que dans ses tragédies, — je ne suis pas le premier à en faire la remarque, — les jolis vers abondent, vers heureux, vers charmans, qui partent, qui ont l’air de partir du cœur :


Je me croirais haï d’être aimé faiblement...
ZAÏRE.
L’art n’est pas fait pour toi, tu n’en as pas besoin.
ZAÏRE.
Pars, emporte avec toi mon bonheur et ma vie...
ALZIRE.
Mon cœur peut-il servir d’autres dieux que les tiens ?..
ZULIME.
Qu’il est dur de haïr ceux qu’on voudrait aimer!..
MAHOMET.
La patrie est aux lieux où l’âme est enchaînée...
MAHOMET.


C’est qu’à dire le vrai, quand on essaie de le voir tel qu’il fut, créature nerveuse, irritable et vibrante à l’excès, nul n’a été plus facile que Voltaire à toutes les émotions. L’effet n’en dure jamais longtemps chez lui, ni ne va bien profondément, mais il les éprouve toutes avec une soudaineté, une rapidité, une vivacité singulière : une femme ne passe pas plus vite du découragement à l’espoir, ou un enfant des larmes au sourire. Et c’est ainsi que, si je m’explique l’assemblage en lui de tant d’hommes différens, je n’ai pas de peine à comprendre, qu’ayant d’ailleurs écrit tant de pages parfaitement cyniques, il ait néanmoins pu trouver de tels vers. Un physiologiste dirait que cette irritabilité de nature est la base physique de la sensibilité; et la sensibilité de Voltaire n’est peut-être qu’à la surface, mais elle est bien réelle et l’accent en est bien sincère, communicatif et touchant.

Allons plus loin, et convenons que dans quelques-unes au moins de ses meilleures tragédies, cette sensibilité pénètre, échauffe, anime le sujet tout entier : « Il me semble, a dit un bon juge, Alexandre Vinet, que, pour le pathétique pénétrant et même navrant, et pour l’éloquence abandonnée et d’effusion, Voltaire a peu de rivaux... Il réussit mieux que personne à inspirer de la sympathie pour ses personnages. En ce point, il surpasse peut-être Racine lui-même... Voltaire me paraît posséder à fond le don d’exciter et d’approfondir la pitié. Il n’intéresse pas seulement, il désole. » Et je trouve que Vinet a raison.


Jamais Iphigénie en Aulide immolée.


n’a fait couler autant de larmes que Mlle Gaussin sous les traits de Zaïre, ou Mlle Clairon sous ceux d’Aménaïde; et l’intérêt que l’on prend