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par la langue italienne, qui l’a en grande partie conservé, par le français même, qui, en se formant, a presque toujours retranché les dernières syllabes du mot latin après la syllabe accentuée : malum mal, caro chair, populus peuple. L’accent n’est resté incertain que pour un très petit nombre de mots latins. D’un autre côté, nos lecteurs savent ce qu’en musique on nomme le temps fort ; c’est le temps frappé dans la mesure à deux ou à trois temps, prise comme type. La première règle de prosodie est qu’une syllabe accentuée corresponde au temps fort de la mesure ; si l’on viole cette règle, on tombe sûrement dans une affreuse cacophonie ; il n’y a pas de rythme qui puisse tenir devant une pareille violation. Remarquons en passant que, la langue italienne étant aussi une langue chantante, moins pourtant que le latin, les bons musiciens de l’Italie ont tenu le plus grand compte de cette règle ; on peut s’en assurer en chantant, par exemple, quelque passage de la Sémiramis de Rossini.

Ce principe sera appliqué au plain-chant. Dans un morceau donné on placera une barre de mesure devant chacune des notes répondant aux syllabes accentuées et l’on aura déjà la charpente de l’air. Les notes intermédiaires attribuées aux autres syllabes seront réparties dans le reste des mesures ; pour cela on tiendra compte de la quantité, qui est le second élément prosodique du latin. Toutefois on doit remarquer que, dans les vers, on ne distingue que deux durées; deux brèves y valent une longue. Dans le langage, les durées des syllabes sont beaucoup plus variées ; il y en a de très longues, de longues, de brèves et de très brèves, avec des nuances intermédiaires. La musique peut tenir compte de ces valeurs ; mais l’accent l’emporte toujours, parce qu’il a la vertu d’allonger musicalement une syllabe brève; de plus, la musique tient pour brèves un certain nombre de formes lourdes, qui sont longues dans les vers parce que la voyelle y est suivie de deux consonnes.

Quand on applique aux chants de l’église cette méthode prosodique, dont je ne puis donner ici qu’une description sommaire[1], on s’aperçoit bientôt qu’ils forment deux catégories, celle des chants simples et celle des chants fleuris. Dans les premiers, à une syllabe répond une seule note, souvent deux, quelquefois trois, rarement un plus grand nombre Dans les seconds, il y a souvent huit, dix et jusqu’à vingt notes pour une syllabe ; ces longues suites de sous ne peuvent pas souvent tenir dans une seule mesure ; elles doivent être partagées en groupes mélodiques. C’est cette multiplicité de notes des chants fleuris qui a rebuté ou induit en erreur ceux qui

  1. On la trouvera développée dans un ouvrage qui ne tardera pas à paraître à la librairie Lecoffre.