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Lorsque Moula-Rechid et Ismaël son frère furent venus du Tafilet, ils allèrent d’abord chez le marabout Sidi Kassem ben Asseria, entre Meknès et la plaine du Sbou, lequel leur prédit qu’ils posséderaient l’un et l’autre la puissance suprême ; ils se rendirent ensuite à Fès, où ils entrèrent dans l’école des tolba. À cette époque, un juif du nom de Ben-Mechâal (fils de l’Allumé) commandait les villes de Taza et de Fès, qu’il avait soumises à son autorité à l’aide de sortilèges. Il régnait sur les deux villes et sur le territoire qui en dépend. C’était un cruel despote, qui, parmi bien d’autres horreurs, avait institué la coutume de se faire livrer tous les ans la plus belle jeune fille de Fès et de Taza, pour l’enfermer dans son harem. Or, l’année pendant laquelle les deux jeunes princes se trouvaient à Fès, le chérif Rechid, allant se promener du côté des cimetières, aperçut une femme prosternée sur une tombe et poussant des cris de désespoir; attiré vers elle par ses lamentations, il s’approcha et lui demanda d’où pouvait lui venir une si grande douleur; elle lui répondit, à travers ses sanglots, qu’elle était chérifa[1] et qu’elle pleurait sur la tombe de son mari pour qu’il intercédât auprès de Dieu, afin qu’il délivrât sa fille; que son extrême beauté avait fait désigner comme devant être abandonnée cette année à l’usurpateur. Le jeune Rechid lui dit de ne plus pleurer et qu’il se chargeait du salut de son enfant. Il rentra donc dans la medreha[2] auprès de ses condisciples, qui, lui compris, formaient un nombre de quarante élèves; il leur raconta la scène touchante à laquelle il venait d’assister et, quand il les vit émus de compassion pour la belle victime qui allait être sacrifiée au juif: « Voulez-vous m’aider, s’écria-t-il. Nous allons provoquer une révolution et délivrer le pays du tyran Mechâal. » Ses camarades acceptèrent d’enthousiasme, tout en lui demandant par quels moyens il voulait amener de si grands résultats. Rechid leur répondit : « Mechâal est en ce moment à Taza, où on va lui conduire la jeune Fasyat[3]. Je me substituerai à elle, on m’habillera avec le costume de la jeune fille; j’aurai un pistolet sous mes vêtemens; vous vous embusquerez autour du palais; quand Mechâal s’approchera de moi, je le tuerai et, au bruit de la détonation, vous arriverez immédiatement en criant : « Ben-Mechâal est mort ! vive Moula-Rechid ! » Moula-Rechid était jeune, il était beau, il n’avait point encore de barbe; le déguisement lui fut aisé. Il visa Mechaâl au cœur, le pistolet partit, le tyran tomba foudroyé. En apprenant cette nouvelle, la population de Fès et Taza, qui était lasse de la domination

  1. C’est-à-dire de la famille de Mahomet.
  2. L’école.
  3. c’est le nom des femmes de Fès.