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les plus rapides progrès. C’est pourquoi l’histoire des origines et du règne de cette dynastie est encore plongée dans une obscurité profonde. Aucun écrivain arabe de quelque notoriété ne l’a retracée, et l’Europe n’en sait guère que ce que lui ont appris les récits peu dignes de foi des voyageurs et des écrivains étrangers. Il existe pourtant à Tes des ouvrages encore inconnus qui, malgré leur médiocrité, doivent contenir de précieux renseignemens sur les révolutions intérieures du Maroc en ces deux derniers siècles. M. Féraud en a recueilli un qui fait suite au Roudh-el-Kartas, il se propose de le traduire; ce sera un véritable service rendu à la littérature historique, si pauvre pour tout ce qui concerne le Maghreb contemporain.

A partir du XVIIe siècle, il ne reste plus rien, en effet, des sciences, des lettres et des arts du Maroc. Un seul écrivain, Makkari, brille encore dans la première moitié de ce siècle ; mais, s’il avait achevé ses études et travaillé longtemps à Fès, la persécution l’en chassa, et c’est en Égypte qu’il dût passer les années les plus fécondes de sa vie. Quand je cherche à m’expliquer comment un pays, jadis si élevé dans toutes les connaissances humaines, a pu tomber aujourd’hui si bas, qu’il est à tous égards le dernier des pays musulmans, je ne puis en trouver d’autre raison que l’influence constante du Soudan qui s’est exercée sur lui depuis la conquête musulmane. Toutes ses dynasties sont venues du Soudan, et toutes ont traîné après elle, avec des troupes nombreuses dont le sang nègre a alourdi le sang arabe et berbère des Marocains, des cheiks fanatiques qui ont piétiné sur la civilisation jusqu’à ce qu’ils l’aient complètement anéantie. Les révolutions marocaines ont toujours été des révolutions, ou plutôt des réactions religieuses. Quand le Maghreb, cédant à l’attrait du progrès, s’est laissé affaiblir par les mœurs plus douces qui en résultent, quand il s’est livré aux délicatesses de l’esprit qui émoussent la barbarie des courages, quand, sans arriver jamais au scepticisme de la science, il s’est peu à peu relâché de ce que la discipline de la religion avait de trop étroit, de trop déprimant pour les intelligences, il s’est toujours trouvé vers les bords du Niger, quelque marabout strictement orthodoxe, appartenant plus ou moins à la race de Mahomet, pour soulever les élémens sauvages et belliqueux qui s’agitent dans ces tristes contrées et pour les lancer vers le Nord. Sous les pas des envahisseurs, qui ne se sont pas arrêtés en Afrique, qui ont souvent passé la Méditerranée, la fine et charmante civilisation d’Espagne s’est écroulée. Mais, quand le flot musulman, refoulé par les armées chrétiennes, a été rejeté de l’Europe, ce qui avait eu lieu sur un plus grand théâtre a continué de se produire sur le théâtre encore vaste du Maroc. C’est du Tafilet