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question ; aboli en principe par la charte, en fait il doit disparaître. »

Il va sans dire que, sans avoir insisté dans le conseil pour qu’on s’obstinât à rompre en visière au préjugé qui s’élevait, en ce moment, contre le double vote, ce n’est point en ces termes que, pour ma part, j’en aurais parlé.

Ministre de l’intérieur, M. Guizot proposait qu’au cas où le député démissionnaire aurait été élu par un collège de département, il fût pourvu à son remplacement par un tirage au sort entre les divers arrondissemens de ce même département, proposition qui fut convertie, plus tard, en une autre plus générale, à savoir le maintien d’un collège de département composé, cette fois, de tous les électeurs, chacun d’eux participant ainsi au double vote. La discussion, sur ce point, fut vive, et l’opposition naissante, ou plutôt renaissante, y manifesta, pour la première fois, dans la personne de M. Mauguin, la prétention de frapper désormais d’illégalité (la crise révolutionnaire étant accomplie) l’emploi régulier des pouvoirs de la chambre, et d’en appeler au peuple. M. Mauguin fut vigoureusement rabroué par M. Dupin, mais le coup était porté, et le fer resta dans la plaie.

Quant à la chambre des pairs, sa position restait plus précaire encore ; elle se hâta de faire acte d’hérédité, vaille que vaille, en admettant à ce titre, M. de Sesmaisons (Donatien) ; de libéralité, en abrogeant, pro parte qua, la loi du sacrilège ; et de virilité politique en-autorisant l’arrestation régulière de M. de Polignac et de M. Peyronnet saisis et détenus sur la clameur publique. Ces signes de vie ne l’affermissaient qu’à demi.

L’assiette des pouvoirs publics, si l’on ose ainsi parler, se trouvait régularisée, au moins provisoirement, et les premières assises du nouveau régime posées à titre de pierre d’attente, restait à en faire autant quant à nos rapports avec les puissances étrangères, au fur et à mesure des actes de reconnaissance qui nous étaient successivement adressés. Le maréchal Mortier fut envoyé comme ambassadeur à Saint-Pétersbourg ; le maréchal Maison à Vienne ; mon vieil ami Rumigny à Berlin ; le duc d’Harcourt à Madrid ; M. de Barante à Turin ; M. de Latour-Maubourg à Rome ; M. Berlin de Vaux à La Haye ; M. Sérurier à Washington. Toutes ces nominations concertées entre le roi et M. Molé furent accueillies sans difficulté par le conseil et bien vues par le public ; mais l’ambassade d’Angleterre devint entre nous et au dehors une pierre d’achoppement.

Notre roi, dans le secret de son cœur, destinait ce poste important à M. de Talleyrand, ou, si l’on veut et pour mieux dire, destinait M. de Talleyrand à ce poste. Je le savais sans qu’il me l’eût