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que les fils du Latin puissent alléguer aucun droit d’hérédité. » C’est encore à peu près ce que dit Salvien au commencement du Ve siècle. La « latinité » ne disparut de la législation qu’au temps de Justinien.

Tel était le demi-affranchissement. Il faut observer maintenant l’affranchissement complet, et chercher si lui-même conférait à l’ancien esclave une pleine indépendance. Si nous regardons le pur droit romain, le « droit civil, » il est très net sur ce point. L’homme qui est affranchi suivant les modes légaux devient pleinement libre : il est citoyen romain et tous les droits du citoyen lui appartiennent ; il acquiert des biens. Il les transmet à ses enfans, il les lègue à sa guise. La pratique était souvent tout autre, et il faut reconnaître que si elle avait répondu à cet idéal, les maîtres n’auraient presque jamais affranchi leurs esclaves. Si les maîtres faisaient un grand usage de l’affranchissement, c’est qu’ils ne perdaient pas tous leurs droits sur ceux qu’ils affranchissaient. En vain l’esclave avait-il vu s’opérer la vindicte à son égard, en vain le magistral l’avait-il proclamé libre, citoyen romain, Quirite ; il n’était pas encore maître de soi. Homme libre vis-à-vis des autres hommes, homme libre vis-à-vis de la loi, il ne l’était pas tout à fait à l’égard de son ancien maître. Le droit romain voulait, en effet, que ce maître devînt pour lui un patron, et ce terme impliquait un certain genre d’autorité. L’affranchi était soumis et subordonné au patron un peu moins que l’esclave ne l’avait été au maître. Le droit, à la vérité, déclarait seulement qu’il devait au patron « la soumission et la déférence ; » mais rien n’était plus dangereux que ces termes abstraits dont il n’existait pas de définition précise ; ce vague prêtait à l’arbitraire et était plein de menaces. Les maîtres trouvèrent d’ailleurs un moyen très sûr de retenir les affranchis dans leur main. Nous avons dit qu’un maître était presque toujours un homme partagé entre la pensée d’améliorer le sort d’un esclave et le désir de ne pas se priver des services et des profits de cet esclave. L’affranchissement n’était, le plus souvent, qu’une conciliation entre ces deux sentimens contraires. Une convention se faisait entre les deux hommes. Le maître disait à l’esclave : « Je veux bien te faire libre et citoyen, mais tu continueras à me servir. « Il n’exigeait plus de lui « un service d’esclave, » mais il prétendait au moins à un « service d’affranchi. »

La nature et la mesure de ce service n’étaient inscrites dans aucune loi. La loi n’avait rien à fixer à cet égard, puisque, à ses yeux, l’affranchi était complètement libre. Mais elle reconnaissait comme chose légitime les conditions imposées par le maître et acceptées par l’esclave pour la concession de la liberté ; c’est ce que les jurisconsultes appellent imposita libertatis causa. La manière dont on réussit à donner une valeur juridique à ces conditions