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Telle était la nature ordinaire de l’affranchissement. Il ne faisait pas un homme indépendant ; il laissait à l’ancien maître de l’esclave une partie de ses droits. L’affranchi, légalement libre, restait le sujet d’un autre homme. Or cette classe des affranchis fut très nombreuse. Tacite fait entendre que, dans la ville de Rome, elle l’emportait sur la population née dans la liberté ; et il n’est pas téméraire de penser qu’il en était à peu près de même dans l’Italie et les provinces. Il n’était pas de riche famille qui n’eût un nombreux personnel d’affranchis à son service. Nous n’avons pas à nous occuper de ceux qui vivaient et travaillaient dans les villes ; mais nous voudrions savoir quelle était la destinée de ceux qui restaient dans les campagnes. Malheureusement, les écrivains ne nous parlent guère que des affranchis des villes, et les jurisconsultes, lorsqu’ils cherchent des exemples, citent plus volontiers l’affranchi orfèvre, ou médecin, ou pédagogue, que l’affranchi laboureur. Les choses rurales sont toujours ce qui laisse le moins de traces. Ce que l’on peut du moins constater, c’est le grand nombre des affranchis des campagnes. Nous voyons, par exemple, dans Tite Live, que Rome, faisant une levée de paysans pour armer une flotte, remplit 25 quinquérèmes d’hommes qui étaient « de la classe des affranchis citoyens romains. » César nous montre, au début de la guerre civile, Domitius se faisant une petite flotte en armant des affranchis de ses domaines d’Étrurie. L’empereur Auguste, en un danger pressant, ordonna aux propriétaires de donner pour le service militaire un certain nombre de leurs affranchis. Pendant tout l’empire, les armées romaines se sont recrutées, en grande partie, d’hommes qui n’étaient pas nés libres. Le corps des vigiles, corps d’élite, qui avait la garde de Rome, était formé « d’affranchis latins. » Les légions, il est vrai, devaient être composées d’hommes libres ; mais les cohortes auxiliaires étaient pleines d’hommes qui ne recevaient les droits complets de citoyen qu’à l’expiration de leur temps de service et comme récompense de seize ans de bonne conduite. Au IVe, au Ve siècle, la population libre, de plus en plus réduite en nombre, ne fournissait que quelques corps d’élite et les officiers des autres troupes ; mais la masse des soldats venait d’ailleurs. Observez la conscription telle que l’empire l’établit alors : elle pèse surtout sur les paysans et exclut la plupart des professions des villes ; parmi ces paysans, elle ne reçoit pas d’esclaves, mais elle reçoit