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Dans quelques domaines la redevance se payait en argent, dans d’autres en nature. Sur quelques-uns, le colon payait à la fois une rente et une part des fruits. Nos documens ne nous renseignent pas sur le chiffre de la rente. La part des fruits s’appelait pars agraria ou agraticum ; c’est le champart du moyen âge. Il pouvait aussi arriver que les colons dussent au propriétaire un nombre déterminé de jours de travail ou de corvées. Une inscription, relative à un domaine d’Afrique, marque que le nombre des corvées sur ce domaine était de six par an, c’est-à-dire deux pour le labour, deux pour les semailles et deux pour la moisson. Mais tout cela variait à l’infini, et nous ne pouvons pas affirmer qu’il y eût deux domaines où les obligations du colon fussent exactement les mêmes. Cette variété venait de ce que chaque propriétaire avait fait à l’origine avec chaque colon des conventions particulières. Quelquefois il avait pu imposer au colon sa volonté. Souvent, les conditions avaient été assez librement débattues, et le colon les avait acceptées à un moment où il avait encore la faculté de ne pas s’établir sur cette terre et où il n’était pas encore colon. Les obligations des colons étaient aussi variables que les sources mêmes du colonat. Une seule règle existait, c’est que ces obligations, une fois établies, ne pouvaient plus changer ; elles demeuraient immuables à jamais. Douces ou rigoureuses, elles se transmettaient de père en fils sans aucune modification. Il faut observer de près cette règle et essayer de la comprendre.

Prenons d’abord le cas où les obligations étaient rigoureuses ; le colon ne pouvait ni réclamer un adoucissement ni quitter la terre. Il voyait ailleurs un domaine où les conditions étaient plus douces, et il était tenté d’y courir ; mais c’est ici que la loi intervenait, impitoyable ; elle interdisait au colon de changer de domaine, de chercher un propriétaire plus indulgent ou une tenure grevée de moindres charges. Elle punissait surtout le propriétaire qui prenait chez lui le colon d’un autre. C’est qu’elle voyait là un préjudice porté à l’ancien propriétaire et une atteinte à des droits acquis. Elle supposait que cette redevance, trop rigoureuse peut-être, avait été établie jadis par une convention libre, qu’il y avait eu peut-être quelque raison spéciale pour qu’elle fût si rigoureuse, que peut-être elle représentait, outre la rente du sol, les intérêts d’un capital prêté, et qu’il pouvait y avoir cent raisons aujourd’hui oubliées pour que la redevance eût été fixée de la sorte. Le législateur ne se croyait pas le droit de permettre qu’on la changeât au détriment du maître.

Prenons maintenant le cas où les conditions faites au colon étaient douces ; alors la même législation impériale défendait au propriétaire de les aggraver. Elle partait de ce principe que, si le propriétaire primitif n’avait établi qu’une redevance légère, c’est qu’il ne