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est le secret des relations entre les principales puissances qui peuvent décider de la paix du monde ? Il est certain que rien n’est clair ni dans ces relations, ni dans l’état général du continent ; que, selon le mot récent et peu compromettant du roi de Grèce, qui est de passage à Paris, les affaires de l’Europe sont assez embrouillées, et, plus que jamais, c’est à l’orient que semblent se préparer des événemens dont de simples spectateurs n’ont pas le secret. Depuis cette série de révolutions et de contre-révolutions où le prince Alexandre de Battenberg a tour à tour perdu, retrouvé, puis définitivement abdiqué la couronne de Bulgarie, les affaires des Balkans restent, à n’en pas douter, une sérieuse et inquiétante énigme. On ne voit même plus comment elles peuvent se dénouer à peu près régulièrement, tant les difficultés s’accumulent et s’enveniment de jour en jour.

Il y a une chose évidente et positive, c’est que, depuis le jour où s’est rouverte cette crise des Balkans, la Russie, qui jusque-là avait gardé quelque mesure, n’a plus déguisé sa politique et a marché ouvertement à son but. Elle ne s’est plus bornée à favoriser ou à protéger les récentes tentatives révolutionnaires de ses partisans contre l’ordre établi en Bulgarie, à poursuivre la prince Alexandre de son animosité, à lui enlever durement toute espérance de recommencer son règne ; elle a hautement avoué sa volonté de reprendre directement pour elle-même la prépondérance dans les Balkans, de ne plus rien laisser faire que sous son autorité et sa direction, de ne plus reconnaître que des subordonnés à Sofia comme à Philippopoli. A défaut du prince Dolgorouki, qu’elle avait voulu d’abord charger d’aller représenter le tsar comme commissaire extraordinaire dans ces contrées, et qui eût été peut-être du premier coup un lieutenant trop compromettant, elle a envoyé le général Kaulbars avec la mission apparente de faire des enquêtes, de consulter les vœux des Bulgares, avec un mandat réel, à peine dissimulé, de commandement. Il y a un autre fait qui n’est pas moins clair, c’est que la Russie, qui se représente toujours comme la libératrice et la protectrice privilégiée des Slaves des Balkans, qui croyait n’avoir qu’à paraître, n’a eu après tout qu’un médiocre succès ; elle n’a pas trouvé la soumission qu’elle attendait. Elle n’a pas en seulement à compter avec la régence qui exerce le pouvoir depuis le départ du prince Alexandre, en attendant la réunion d’une assemblée souveraine, elle a rencontré une résistance assez vive un certain sentiment d’indépendance dans la population elle-même. Elle a vainement employé tous les moyens, et rien, certes, n’est plus curieux que cette sorte de représentation qui se déroule depuis quelques jours dans les Balkans, où le général Kaulbars joue en vérité le rôle le plus étrange.

Tout est positivement bizarre dans cet imbroglio bulgare, et le général Kaulbars ne laisse pas de mettre quelque fantaisie dans la manière