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écrivait le lieutenant-colonel de Maussion, chef d’état-major, sont en assez bon train, malgré la triste composition de notre colonne de conscrits commandés par des pleureurs. En faisant de trois à cinq lieues par jour, nous avions toujours en arrière un cinquième de notre monde. »

Dans son rapport au ministre de la guerre, le général Bugeaud était plus explicite : « j’arrive à Tlemcen après cinq jours de marche ; j’ai fait des haltes fréquentes; partout où il y avait de l’eau, je restais deux heures ou je couchais, et, malgré cela, à deux jours d’Oran, j’ai dû renvoyer près de trois cents hommes qui ne pouvaient plus marcher. Depuis, mes cacolets et mes chameaux se sont encore couverts d’officiers et de soldats. Les nouveaux régimens sont détestables pour faire cette guerre; le 24e a été celui dont j’ai été le plus mécontent. Il a été très démoralisé : c’était presque du désespoir ; quatre hommes se sont suicidés dans une marche de quatre lieues. Cette maladie venait d’en haut. J’ai réuni les officiers, je les ai harangués en présence des soldats, j’ai discuté leurs plaintes à haute voix, je leur ai prouvé qu’aucune n’était fondée; enfin quittant le ton de la discussion, je leur ai dit que leurs plaintes sur le sort du soldat dissimulaient mal l’affaissement de leur moral, que les soldats ne se seraient pas plaints si eux-mêmes n’en avaient donné l’exemple. Le lieutenant-colonel a eu la maladresse de me reprocher les fatigues de la journée du 12, qui était un jour de combat. Il me faisait beau jeu ; je lui ai répondu comme il le méritait. Si pareille chose se renouvelait, j’ôterais le commandement aux deux chefs supérieurs, et je le leur ai dit à huis clos. Je suis entré dans ces détails, monsieur le maréchal, pour vous corroborer dans l’opinion que vous avez sans doute déjà, qu’il faut pour l’Afrique des troupes constituées tout exprès et se sentant commandées par de jeunes chefs, ardens et vigoureux. Quelques jeunes gens se sont distingués en Afrique; si vous conservez cette fâcheuse conquête, il faut les avancer et leur donner le commandement des régimens d’abord, des colonnes plus tard. » Le rapport se terminait par un grand éloge des Douair : « j’en suis extrêmement content : ce sont d’intrépides et habiles cavaliers. Ils sont évidemment supérieurs à notre cavalerie pour éclairer, tirailler et combattre dans les terrains difficiles. Moustafa, leur chef, est un homme respectable et de très bon conseil ; il y a d’autres chefs qui sont aussi fort recommandables par leur bravoure et leur intelligence. Il serait juste et politique de faire un bon traitement à ces hommes qui servent si bien notre cause. »

D’esprit tout positif, le général Bugeaud n’avait pas l’imagination poétique. Tlemcen ne lui parut pas mériter la réputation charmante qu’on avait faite à son site. « Ce pays tant vanté, disait-il, est une