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campagnes qu’à Paris (toute proportion gardée), et précisément à cause de la difficulté plus grande pour une fille de la campagne de dissimuler sa situation, le crime est presque toujours concomitant à la naissance. Il est infiniment rare qu’une mère se débarrasse d’un enfant auquel elle a donné les premiers soins. Quant au suicide, c’est presque toujours la résolution désespérée qu’inspire à une jeune fille l’infidélité ou l’abandon, et la Seine, ce grand tombeau des amours parisiennes, reçoit plus d’amantes que de mères. Mais, à peine rendue elle-même, une première tentation s’offre à l’esprit et en quelque sorte sous les pas de la fille mère : c’est l’abandon. Je ne parle pas de l’abandon romanesque et légendaire sur les marches d’une église ou sous les arbres d’une promenade, avec un signe de reconnaissance attaché au cou ou fixé aux langes de l’enfant, mais de l’abandon officiel et pour ainsi dire encouragé. A deux pas de la Maternité se trouve l’hospice des Enfans assistés, et si le tour est fermé depuis longtemps, le bureau d’admission est toujours ouvert. Beaucoup de bonnes âmes et quelques bons esprits regrettent la suppression des tours. Je ne saurais partager ces regrets. La suppression des tours augmente, dit-on, le nombre des infanticides. Je l’accorde, bien que cela ne soit nullement prouvé. Mais leur rétablissement augmenterait assurément le nombre des abandons. Or si l’infanticide est un crime, à tout prendre assez rare puisqu’il n’y en a en France que 150 à 200 par an sur plus de 900,000 naissances, l’abandon est un crime aussi, un crime au point de vue moral tout au moins et beaucoup plus fréquent, puisqu’on compte en France de dix à onze mille abandons par an. Dans ce chiffre, Paris entre pour plus du cinquième. Or c’est déjà beaucoup que l’état se rende complice de ce crime en acceptant les enfans qu’il plaît aux mères de lui jeter sur les bras. Encore ne faut-il pas le blâmer si, avant d’accepter ce fardeau de leurs mains et d’endosser cette paternité fictive, il cherche à les rappeler à leurs devoirs maternels et s’il leur fournit les moyens de l’accomplir en faisant ce que devait faire le père véritable, c’est-à-dire en leur allouant des secours. C’est ainsi que fonctionne aujourd’hui le service des enfans assistés, et c’est là un moyen terme entre la trop grande facilité et la trop grande rigueur, qui, dans la pratique, donne de bons résultats et auquel il convient de s’en tenir.

Le chemin du bureau d’admission est bien connu des filles mères à Paris. Sur 2,772 enfans qui ont été abandonnés à Paris en 1883, 1,825 ont été présentés par la mère elle-même et 1,498 ont été apportés dans le mois qui a suivi leur naissance. Cette première période qui suit les relevailles est donc particulièrement dangereuse pour l’enfant comme pour la mère. La perspective des secours qu’elle