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soit bien grand, puisque celles-là même qui en souffrent le plus n’en paraissent pas choquées. Cette conviction, qui, dans l’état actuel des esprits, est entachée d’un peu de paradoxe, pour ne pas me servir d’un autre mot, est cependant partagée par des autorités considérables. M. Le Play, le premier, avec l’indépendance de son esprit, a pris le code à partie sur ce point dans son célèbre ouvrage sur la Réforme sociale. Ses disciples ont tenu bon, et la revue qui leur sert d’organe publie souvent sur ce sujet de solides études. Mais l’école de la réforme sociale a trouvé un auxiliaire brillant et des plus secourables en M. Alexandre Dumas, qui s’est prononcé en faveur de la recherche de la paternité dans une brochure retentissante. Cependant l’opinion demeure incertaine, et, il en faut convenir, hostile en majorité. Les jurisconsultes sont à peu près unanimes, peut-être par habitude de dire : Ne touchez pas au code civil ! Mais le camp littéraire est divisé, et mon sévère collaborateur, M. Brunetière, a dit ici même leur fait aux filles mères avec sa verve sarcastique. De ces dispositions hostiles on a eu la preuve lorsqu’une proposition bien prudente et bien mesurée pourtant, soutenue devant le sénat par M. Bérenger, avec la double autorité de son nom et de son talent, a dû être retirée par lui. Oserai-je dire que quelques-uns des défenseurs de la thèse l’ont peut-être un peu compromise en compliquant la question, très simple en elle-même, par des considérations qui lui sont étrangères et qui ont trait à la condition de l’enfant naturel dans la société? En voyant dans la recherche de la paternité un moyen d’assurer à l’enfant naturel ce qui lui fait nécessairement déduit, un nom, une famille, et, le cas échéant, une fortune, ils ont indisposé cette partie de l’opinion bourgeoise qui se croit un peu chargée de prendre la défense de la famille. Ces bourgeois, en effet, et je suis du nombre, trouvent que la littérature théâtrale et romanesque fait la part un peu trop belle à l’enfant naturel. A lui toutes les vertus du cœur, tous les dons de l’esprit; au fils légitime toutes les médiocrités et toutes les bassesses. Puisqu’il en est ainsi, qu’on ne le force pas du moins à partager ce qui lui appartient ; le nom et la fortune. Je ne suis pas convaincu, d’ailleurs, qu’on rendît à l’enfant naturel un véritable service en le dotant d’un père récalcitrant et d’une famille hostile. La reconnaissance d’un enfant doit demeurer un fait volontaire; dès qu’elle serait judiciaire, elle perdrait pour lui ses principaux bienfaits et créerait même une situation intolérable si elle le faisait entrer de force dans une famille régulièrement constituée. Mais, à côté de l’enfant, il y a la mère. Lorsque la survenance d’un entant a causé dans la vie d’une femme une détresse peut-être irrémédiable, est-il admissible qu’en vertu d’un