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excitant la population à narguer les faibles armes de la loi, déversant le mépris sur les hôtes du château de Dublin, ces étrangers stipendiés qui osent prétendre au gouvernement de l’Irlande, exaltant au contraire les mérites, la puissance, les bienfaits de la Ligue nationale.

La campagne qu’entreprenaient MM. Dillon et O’Brien avait été décidée, le 31 août, à New-York, dans un conseil secret auquel ce dernier avait pris part avec deux autres délégués du parnellisme, MM. Michael Davitt et John Redmond, et les chefs du parti irlando-américain de l’action par la dynamite, MM. Patrick Egan, Alexander Sullivan et Patrick Ford. Il est aisé de deviner ce qui avait pu être arrêté dans ce conciliabule par le langage que tenait, quelques jours plus tard, le journal de Ford, the Irish World: « c’est une folie de compter exclusivement sur l’agitation parlementaire pour le redressement des griefs de l’Irlande. Il faut choisir entre une guerre agraire ou la famine. En Amérique, nous donnerons nos applaudissemens, nos encouragemens, notre concours au grand assaut contre le landlordism. Il ne faut pas se contenter d’un déploiement de terrorisme intermittent, il faut une guerre réelle, organisée, systématique, mortelle… Il n’y a pas assez de fusils en Irlande pour une guerre d’indépendance, mais il y a assez d’armes pour une guerre agraire. »

Le rapprochement des dates est ici très instructif. On voit que la guerre était décidée par les comités américains avant même que le dernier mot eût été prononcé dans le parlement. Le scénario était réglé à l’avance et les rôles distribués. MM. Dillon et O’Brien n’avaient attendu, pour opérer leur entrée, que la disparition prévue, calculée, de M. Parnell. Cependant, les deux tribuns, malgré leur activité extraordinaire, une énergie infatigable, une faconde toujours nouvelle, un ton de plus en plus violent contre les autorités, les landlords, la loi et tout l’ordre social, n’obtenaient aucun résultat sérieux. Le gouvernement avait habilement profité de son succès parlementaire pour exercer une pression morale sur la classe des propriétaires fonciers en Irlande et obtenir du plus grand nombre d’entre eux qu’ils fissent aux circonstances les plus larges sacrifices. Les agens de la Ligue voyaient avec désespoir que presque partout l’entente s’établissait entre les landlords et leurs fermiers, les premiers consentant à réduire les fermages de 10, 15, 20 pour 100. Si les choses se continuaient de la sorte, et si les paysans s’habituaient au respect de la loi et des contrats, il n’y avait plus de guerre agraire en perspective, la Ligue nationale allait se trouver sans clientèle.

Il fallait un coup de théâtre pour frapper l’opinion. Le 21 octobre