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désormais métamorphosé en étudiant. Il habite avec sa mère, rue Palatine, un appartement dans un de ces vieux hôtels que la pioche impitoyable du maçon n’a pas encore sacrifié au tracé d’une voie nouvelle. La santé de Mme d’Aumel, fort chancelante depuis longtemps, la rend forcément sédentaire ; ses sorties se bornent à traverser la rue pour aller à Saint-Sulpice, où elle passe la meilleure partie de ses journées en oraison. Uniquement occupée de son salut et de l’avenir de son fils, elle répète sans cesse à Didier que le mérite seul d’un jeune homme ne suffit pas à lui assurer une belle position, mais qu’il faut encore avoir des amis et se créer des relations, levier sans lequel les plus intelligens ne sauraient atteindre le sommet de l’échelle sociale.

L’une des maisons où il se montre le plus assidu, est celle d’un de ses anciens professeurs. M. et Mme Devrage donnent des soirées hebdomadaires où la causerie, la musique et la comédie mettent tour à tour à contribution l’entrain, l’esprit et les talens des invités. Le jeune d’Aumel devient promptement la coqueluche de ce cercle choisi ; mais il n’est pas de troupeau sans blacksheep. C’est ainsi que s’est faufilée chez le professeur la vicomtesse Dolbeska, d’origine polonaise, disait-on, veuve probablement, chanoinesse peut-être, intrigante sûrement, comédienne toujours ! Constamment à l’affût de nouvelles connaissances, c’était une de ces mondaines qu’on rencontre partout où il y a intérêt à voir et surtout à être vue ; une fidèle des cours du Collège de France, de la chambre des députés, du sénat et de l’Institut ; l’empressement des huissiers à la conduire à sa place, devait faire supposer qu’elle avait des tenans et des aboutissans près de toutes les célébrités du moment. Prise de la haute ambition d’obtenir une récompense à l’Académie, elle imagina d’adresser à M. Devrage, membre de l’Institut, une étude sur les entités métaphysiques, étude où abondaient les citations de Schopenhauer, Mathieu Arnold et Renan. Sans jeter un jour nouveau sur la sociologie ou la psychologie, ce travail synthétique témoignait cependant d’une grande intelligence, et M. Devrage adressa à l’auteur une lettre des plus flatteuses. La vicomtesse s’empressa de venir en personne en exprimer sa reconnaissance à l’illustre professeur et fit si bien, qu’on la compta bientôt au nombre des habitués, triés sur le volet, de ce salon universitaire. La vicomtesse avait beaucoup lu, beaucoup voyagé et beaucoup retenu. Sa conversation était substantielle et spirituelle tout à la fois. Ayant l’art de se composer au plus haut point, elle écoutait en femme aguerrie, tout en faisant des minauderies pudiques, les récits des scandales mondains, sans se priver elle-même de chiffonner un peu la morale.

Les hommes expérimentés ne se laissaient pas prendre à ses manèges ; il leur semblait que c’était une de ces femmes faciles