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Le dean quitta Didier après avoir serré ses deux mains dans les siennes comme deux noix que l’on veut casser.


VI.

Ethel acquiesça avec joie au plan de son père ; elle accepta de tenter l’épreuve du Bosquet du roi, comme jadis on subissait celle du feu et de l’eau pour éprouver la foi.

Un train express les transporta à Versailles : blottie dans le coin du wagon, Ethel est assise contre le vent ; son grand œil bleu reste rêveur et fixe. Elle ne regarde ni Paris formidable et radieux, où brille comme un fungus d’or le dôme des Invalides ; ni le pêle-mêle des bois et des maisons, ni le vallon qui se creuse, ni le coteau qui surgit.

A Versailles, M. Elsewhere hèle le cocher d’une calèche ouverte et entre en arrangement pour se faire conduire à Villepreux. Le véhicule au cheval cornard, est l’une de ces vieilles pataches dont Versailles, ce gardien jaloux de toutes les vétustés, semble avoir le monopole. Le cocher, homme d’âge, gros et gras, au triple menton qui ballotte, à la face rubiconde, a vieilli sous le harnais. Il se vante d’avoir été le cocher de Charles X! croyant, sans doute, provoquer par là, la générosité de la pratique.

En effet, un cocher qui a su rester plus longtemps sur son siège qu’un roi sur son trône, a bien droit à un bon pourboire !

Chemin faisant, M. Elsewhere recommande à son automédon de prendre au plus court, car il est pressé par l’heure.

La voiture aux ressorts fatigués, en roulant sur la route pavée, sonne la ferraille et fait sauter les voyageurs sur les coussins, comme des pois sur un tambour.

Or, toute conversation est ainsi rendue impossible entre le père et la fille.

Tous deux gravissent à pied la longue route montueuse qui mène de Villepreux à Saint-Nom. La journée est belle et calme ; le ciel et le soleil sourient à la terre ; la campagne est solitaire ; une faible brise agite légèrement les feuilles. Devant eux, du côté qui descend, arrive un campagnard assis sur un cheval normand, un grand fouet passé autour du cou ; un beau saint-germain jappe et gambade autour de son maître. O stupéfaction l ô joie suprême! Ethel pousse un cri, elle a reconnu Didier d’Aumel ! Il saute à bas de son cheval, ses yeux brillent, sa physionomie rayonne de bonheur ; il se jette aux genoux de miss Elsewhere, saisit ses deux mains, qu’elle abandonne sans résistance à ses baisers.