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comprendra (nous avons vu plus haut que des personnes réelles pourraient la tenir et par quelles raisons;) cela n’empêche pas que sa femme de chambre, dans un tableau supprimé pour cette reprise, s’écriait naguère : « En v’là une qui ne sait pas ce qu’elle veut! » Le public fait comme la bonne. — Celle-ci ajoutait : «On peut dire tout ce qu’on voudra de madame, qu’elle n’a pas deux idées de suite, mais elle n’est pas grimacière. » C’est justement parce qu’elle n’est pas grimacière qu’elle paraît n’avoir pas deux idées de suite : elle ne fait pas la grimace qu’il faudrait pour en indiquer la liaison. A la lumière de la rampe, le caractère ne se tient donc pas. Le public a peine à croire que de pareils personnages existent; il les soupçonne d’être inventés. Et, comme l’auteur ne montre pas qu’il les trouve vilains ni ridicules, plus de doute ; ce sont ses créatures. Il a imaginé ces monstres pour calomnier l’humanité : oh! le méchant projet! Il leur a soufflé ces discours emphatiques ou cyniques : oh ! le vilain style ! Et voilà comment M. Becque, pour n’avoir mis à la scène que des caractères vrais, tels que la nature les a pu fournir, en a mis d’invraisemblables; et comment, par une suite de son parti-pris de ne pas intervenir dans le drame, c’est contre lui que le public se fâche !

Après le deuxième et le troisième acte, où ces causes produisent leurs pires effets, pour que le quatrième ait triomphé d’une rancune presque générale, ne faut-il pas qu’il soit beau? Un juste progrès de sentimens, poussé jusqu’aux extrêmes avec une rare puissance, et, pour traduire les mouvemens de deux âmes, tantôt des mots simples, tantôt des phrases éloquentes, ce ne sont pas de piètres mérites. Cet épithalame du mari, cette confession de la femme, ont une grandeur tragique. Il s’approche, tendre et empressé; elle, par un scrupule instinctif, l’éloigné d’abord; par une avantageuse subtilité, elle veut que leur union soit, de part et d’autre, un acte de raison, et non un entraînement du cœur ni des sens : elle veut être prise, non pour les perfections qu’elle n’a pas, mais pour ces bienfaits du mariage qu’elle croit pouvoir donner et recevoir encore. Il célèbre, en paroles naïves et brûlantes, cette innocence qu’il s’excusera de profaner : elle essaie de détourner sa louange. Il la juge trop modeste et redouble d’éloges; fascinée alors par l’idée plus présente de son indignité, elle murmure je ne sais quoi d’ambigu, où paraît se trahir l’embarras d’une conscience trop délicate. Enfantillage, sans doute ! « Confesse-toi, » dit Michel en souriant. Et elle, tout bas : « Je voudrais le pouvoir. » Il croit la deviner, il l’absout du tort qu’il suppose : ne l’a-t-elle pas méconnu naguère ? Et, en retraçant l’histoire de son stage amoureux, il s’anime encore, et sa reconnaissance grossit et déborde en véritable hymne nuptial. « Honte! honte! » balbutie Hélène. Il s’étonne de son trouble, il l’interroge ; elle s’accorde un répit, puis un autre :