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pillage. Ils s’étaient jetés sur des barils d’eau-de-vie, les avaient défoncés, s’étaient gorgés de boisson; puis, trébuchant dans la boue, incapables de résistance, ivres-morts, ils étaient tombés sous les coups d’un ennemi impitoyable. Des avant-postes on pouvait entendre les clameurs de joie qui saluaient leurs, têtes sanglantes promenées dans Constantine. Il en avait péri cent seize de cette fin horrible.

Ainsi décimé, le 62e prit place sur le Mansoura. non loin du marabout de Sidi-Mabrouk, où était le campement du quartier général ; tout près de là se trouvait aussi le parc des vivres, déjà bien réduit et privé de ses dernières ressources par cette déplorable aventure. L’ambulance, d’abord installée derrière le marabout, venait d’être transportée plus près des troupes dans des grottes que les spahis avaient découvertes sur le flanc escarpé du plateau et d’où Jusuf lui-même avait eu de la peine à les faire déguerpir. Son bataillon de Turcs et son artillerie occupaient l’extrémité gauche de la terrasse, le long de laquelle étaient répartis par section les chevalets de fusées; à l’extrême droite, deux batteries de pièces de campagne étaient braquées sur le pont et sur la porte nommée Bab-el-Kantara. De l’autre côté du ravin, sur les pentes de Sidi-Mecid, des tirailleurs détachés du 59e et du 63e surveillaient le débouché du pont. Les deux régimens auxquels ils appartenaient avaient leurs bivouacs sur le Mansoura, le 63e en avant, couverts l’un et l’autre vers le ravin par la compagnie franche du capitaine Blangini.

Dans Constantine, la défense était conduite par Ben-Aïssa; il avait sous ses ordres les janissaires que le bey n’avait pas cessé de recruter à Constantinople, à Smyrne et même à Tunis, les habitans de la ville en âge de porter les armes et un gros contingent de Kabyles qu’il avait fait venir des montagnes depuis Bougie jusqu’à Sétif. Kabyle de naissance, Ben-Aïssa exerçait sur ses sauvages compatriotes une influence irrésistible. Quant au bey Ahmed, il avait jugé prudent de sortir de sa capitale, sous le prétexte d’ailleurs assez plausible de rassembler et de mener contre les Français les Arabes de la plaine.

Pendant toute la journée du 22, un combat d’artillerie s’était soutenu entre les batteries turques qui défendaient Bab-el-Kantara, et les batteries françaises qui l’attaquaient; en même temps, les fuséens avaient lancé sans succès leurs projectiles, qui n’avaient allumé aucun incendie dans la ville. Le soir venu, le maréchal voulut connaître l’effet qu’avait produit la canonnade. A minuit, le capitaine du génie Hackett, suivi de quelques sapeurs d’élite, descendit par le ravin jusqu’au pont. A peine s’y était-il engagé que, par une brusque éclaircie, les rayons de la lune répandirent