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la langue de sa barbarie et ont obligé le vulgaire même, le vulgaire de Londres,.. D’aspirer à une pureté de langage plus grande que celle du commun peuple d’aucune nation sous le soleil. » Il ne doute pas, lui, que l’anglais soit susceptible de devenir une langue classique. « S’il reste quelque part, dit-il ailleurs, au plus profond des poitrines humaines, une dernière étincelle des perfections qu’Adam connut dans le paradis, certainement c’est dans les poitrines des poètes que Dieu a placé cette étincelle, image la plus pure qui soit de lui. » A la différence du chancelier Bacon et de quelques graves dignitaires de la littérature, il a foi dans ce groupe d’artistes, au premier rang desquels il plaçait Shakspeare et Spenser, le « divin Spenser, » qui peut supporter la comparaison avec n’importe quel auteur de France, d’Italie ou d’Espagne ; « encore n’est-il pas la seule hirondelle de notre été. »

Son roman, rédigé en forme de mémoires, selon la règle usuelle des picaresques, est dédié au comte de Southampton, sous le patronage duquel Shakspeare avait déjà placé sa Vénus. Il a le défaut de tous les romans du temps, aussi bien en Angleterre qu’ailleurs : il est incohérent et mal composé. Mais il présente des fragmens excellens, deux ou trois bons portraits de gens bien observés et quelques scènes, comme les aventures de Gynécia, habilement construites, qui permettent de prévoir qu’un jour la puissance dramatique du génie anglais, exténuée sans doute par une trop longue carrière sur le théâtre, pourra, au lieu de s’éteindre, revivre dans le roman. La fiction de Nash, d’après le procédé employé déjà par More dans son Utopie, et depuis, avec l’éclat qu’on sait, par Walter Scott, est mêlée de personnages historiques. Le page Jack Wilton, héros de l’histoire, un peu supérieur par son rang au picaro ordinaire, ayant, comme Gil Blas, peu d’argent en poche et quelques bribes de latin en tête, assiste d’abord, avec la cour royale d’Angleterre, au siège de Tournay, sous Henri VIII. « Le crédit que j’avais à cette cour, quantité de mes créanciers que j’ai plantés là sans les payer en peuvent témoigner. » Il vit des ressources de son esprit, jouant aux honnêtes gens bornés des tours fouettables quand ils ne sont pas pendables. Sa plus notable victime est le fournisseur de boissons du camp, ventru, couard, fier de sa prétendue noblesse, un Falstaff vieilli dont l’esprit se serait émoussé, et qui, ayant fini par épouser mistress Quickly, serait devenu lui-même aubergiste en sa société : il buvait à crédit jadis ; c’est lui qu’on berne aujourd’hui. Ainsi finissent, avec tous les Falstaff, tous les Scapins. « Ce grand seigneur, ce digne seigneur, raconte le méchant page, n’était point humilié (Dieu me pardonne!) d’avoir ses vastes culottes de velours toute vergetées du délicieux cidre qu’il vendait. C’était pourtant