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naturelle, il faudrait l’attribuer à lord Herbert de Cherbury. Nous n’apprendrons rien à personne en rappelant ici que lord Herbert n’a pas eu, jusqu’à M. de Rémusat, la place qui lui revient dans l’histoire de la philosophie. Sans être un profond penseur, il fut original. Il entreprit, avant Descartes, de déterminer les conditions essentielles pour connaître la vérité. La vérité existe ; philosophes, théologiens sont sur ce point d’accord avec le sens commun. Mais comment la trouver? Les uns prétendent subordonner la raison à la foi; les autres, tout asservir à une autorité traditionnelle. Ce n’est pas là philosopher librement. Il y a dans tous les esprits certaines notions communes, principes de tous nos jugemens : là seulement sont les véritables fondemens de la certitude. Il s’ensuit que le consentement universel est le signe de la vérité. C’est dans le consentement universel, non dans les livres des philosophes, que lord Herbert cherche à la fois le point de départ et le critérium de sa philosophie.

Le rapprochement entre lord Herbert et Descartes, le De Veritate et le Discours de la méthode s’impose de lui-même. Descartes aussi pense que « le bon sens est la chose du monde la mieux partagée, » et que le principal « n’est pas d’avoir l’esprit bon, mais de l’appliquer bien. » Descartes aussi tient, au fond, le consentement universel pour marque suprême du vrai ; car le moyen que l’évidence ne soit pas aperçue de tous les esprits, et, une fois aperçue, ne s’impose pas à tous également? De là ses étonnemens irrités en face de ses contradicteurs. Enfin, d’après lord Herbert, les principes ou notions communes « émanent d’une Providence qui a mis une certaine harmonie entre les choses et notre intelligence[1]. » Descartes de même y voit « la marque de l’ouvrier sur son ouvrage. » Je ne voudrais pas prolonger un parallèle trop flatteur pour Herbert, mais comment ne pas signaler entre ces deux hommes une certaine analogie d’existence militante et vagabonde, au moins dans la jeunesse? Comment ne pas rappeler que tous deux se crurent redevables de leur méthode à une sorte de révélation surnaturelle[2] ?

Sur les notions communes, les mêmes chez tous les hommes, repose tout ce qu’il y a de certain dans la religion. Il y a donc une religion naturelle, et, pour en formuler les dogmes essentiels, il

  1. De Rémusat, Histoire de la philosophie en Angleterre, t. I, p. 210.
  2. « c’est à Paris, écrit M. de Rémusat, qu’après avoir médité longtemps son Traité de la vérité, comme la pensée de toute sa vie, il le termina un beau jour d’été, dit-il, dans la dernière année de son ambassade. En posant la plume, inquiet du parti qu’il allait prendre, il demanda à Dieu de lui révéler par quelque signe s’il devait publier ou supprimer son livre. Il entendit alors je ne sais quel bruit inconnu qu’il jugea surnaturel, et le De Veritate parut (1624). »