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des réunions particulières de la section de l’intérieur depuis dix heures du soir jusqu’à cinq heures du matin... Souvent, à Saint-Cloud, il retient les conseillers d’état depuis neuf heures du matin jusqu’à cinq heures du soir, avec une suspension d’un quart d’heure, et ne paraît pas plus fatigué à la fin de la séance qu’au commencement. » Pendant les séances de nuit, « plusieurs membres tombent de lassitude, le ministre de la guerre s’endort; » il les secoue et les réveille : « Allons! allons! citoyens, réveillons-nous, il n’est que deux heures, il faut gagner l’argent que nous donne le peuple français! » Consul ou empereur[1], « à chaque ministre, il demande compte des moindres détails : il n’est pas rare de les voir sortir du conseil accablés de la fatigue des longs interrogatoires qu’il leur a fait subir; lui dédaigne de s’en apercevoir, et ne leur parle de l’emploi de sa journée que comme d’un délassement qui a exercé à peine son esprit. » Bien pis, « il arrive souvent aux mêmes ministres de trouver encore, en rentrant chez eux, dix lettres de lui, demandant d’immédiates réponses, auxquelles tout l’emploi de la nuit peut à peine suffire. » — La quantité de faits que son esprit emmagasine et contient, la quantité d’idées qu’il élabore et produit, semble dépasser la capacité humaine, et ce cerveau insatiable, inépuisable, inaltérable, fonctionne ainsi sans interruption pendant trente ans.

Par un autre effet de la même structure mentale, jamais il ne fonctionne à vide ; c’est là aujourd’hui notre grand danger. — Depuis trois siècles, nous perdons de plus en plus la vue pleine et directe des choses ; sous la contrainte de l’éducation casanière,

  1. Mollien, Mémoires, I, 379; II, 230.— Rœderer, M. 434. « Il est à la tête de tout: il gouverne, il administre, il négocie, il donne chaque jour au travail dix-huit heures de la tête la plus nette et la mieux organisée : il a plus gouverné en trois ans que les rois en cent ans.» — Lavalette, Mémoires, II, 75. Paroles du secrétaire de Napoléon sur le travail de Napoléon à Paris, après Leipzig) : « Il se couche à onze heures, mais il se lève à trois heures du matin, et, jusqu’au soir, il n’y a pas un moment qui ne soit pour le travail. Il est temps que cela finisse, car il succombera, et moi avant lui. « — Gaudin, duc de Gaëte, Mémoires, III (supplément), p. 75. Récit d’une soirée où, de huit heures du soir à trois heures du matin. Napoléon examine, avec Gaudin, son budget général pendant sept heures consécutives, sans avoir une minute de distraction. — Sir Neil Campbell, Napoléon at Fontainebleau and at Elbe, p. 243. (Journal de sir Neil Campbell à l’île d’Elbe) : « Je n’ai jamais vu aucun homme, en aucune condition de la vie, avec tant d’activité personnelle et tant de persévérance dans l’activité. Il semble qu’il trouve son plaisir dans le mouvement perpétuel et à voir ceux qui l’accompagnent tomber de fatigue, ce qui a été le cas en plusieurs occasions où je l’ai accompagné... Hier, après avoir été sur ses jambes depuis huit heures du matin jusqu’à trois heures de l’après-midi à visiter les frégates et les transports, jusqu’à descendre dans les compartimens d’en bas parmi les chevaux, il a fait une course de trois heures à cheval, et, comme il me le disait ensuite, pour se défatiguer. »