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ignoble baraque ou une écurie : au milieu de tout cela, les hurlemens et les aboiemens furieux des chiens arabes, les cris des officiers, qui ne pouvaient se faire entendre ni obéir, et les imprécations des soldats, jurant contre tout le monde et surtout contre le temps. La nuit fut mauvaise ; trempés jusqu’aux os, nous n’avions pas de feu pour sécher nos habits. Nous nous serrâmes les uns contre les autres en attendant le jour, qui fut bien lent à paraître. »

Enfin, le jour venu, on put commencer à se reconnaître. Sur le versant méridional du Chareb-er-Rih, Mascara, flanqué de ses faubourgs Argoub-Ismaïl, Aïn-Beïda, Sidi-Bougelal et Baba-Ali, était, en 1835, entouré d’une muraille haute de plus de 8 mètres, avec une kasba et plusieurs mosquées; au dehors s’étendait, comme autour de toutes les villes musulmanes, une ceinture de jardins et de cimetières. En abandonnant la ville, les Arabes l’avaient mise à sac et leur fureur s’était assouvie sur les juifs qui n’avaient pas voulu les suivre; on trouvait les cadavres de leurs victimes dans les rues, dans les maisons, dans les puits. Cependant ils n’avaient ni tout détruit ni tout pillé. Il restait de grandes quantités de blé, d’orge et de paille ; les jardins étaient pleins de légumes ; des centaines de pigeons voletaient par les rues ; pour le soldat c’était l’abondance. De son côté, l’état-major avait fait une bonne prise, l’arsenal, la fabrique d’armes, les magasins d’Abd-el-Kader, vingt-deux pièces de canon, des fusils, des barils de poudre, quatre cents milliers de soufre et ce qui valait mieux que tout, l’obusier de montagne et les caissons naguère enlisés dans le marais de la Macta. Il n’y avait plus qu’à installer le bey Ibrahim ; mais, par un de ces reviremens d’idées dont il avait l’habitude, le maréchal Clauzel s’était tout à coup dégoûté de sa conquête ; l’âpreté des chemins, la difficulté des communications, la désertion des habitans, la haine dont ils étaient évidemment animés, tous ces faits, toutes ces considérations avaient réagi contre ses résolutions premières ; il était décidé maintenant à quitter Mascara sans retard. Des ordres furent donnés pour détruire les canons, les magasins, les approvisionnemens, démanteler la kasba, ouvrir des brèches dans le mur d’enceinte, et livrer aux flammes la ville et les faubourgs. Pendant que la torche, la sape et la mine accomplissaient leur œuvre, le maréchal voulut faire acte de souveraineté dans la capitale d’Abd-el-Kader; un arrêté, daté de Mascara, donnant à la province d’Oran une organisation nouvelle, la divisait en trois beyliks : de Tlemcen, de Mostaganem, du Chélif, et nommait Ibrahim bey de Mostaganem.

Le 9 décembre au matin, après quarante-huit heures d’occupation, les troupes françaises évacuèrent la cité condamnée, au bruit