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autrefois. Contentons-nous, tout d’abord, de nous concilier les juges sans les discréditer, c’est-à-dire de les choisir plutôt parmi les personnages les plus respectables et les plus instruits que parmi ceux qui se signalent par de belles promesses ou des délations.

Les principales villes de province ont leur chara; — chara-maléki; — Les tribus n’ont que des cadis. — Leur compétence est indéterminée : pénale, civile, commerciale. A défaut d’une limite fixée par la loi, — Limite que ne s’expliqueraient pas les Arabes, — L’usage, la nature et l’importance de la cause permettent au tribunal de province de savoir s’il doit retenir ou non une affaire; — dans le cas où il se déclare compétent, le défendeur peut demander à un muphti de Tunis une consultation écrite ou mrazla et la lui présenter; le cadi en prend connaissance, mais il reste libre de juger comme il l’entend ; toutefois, si sa sentence n’est pas d’accord avec l’opinion du muphti, il doit faire connaître par écrit les motifs de cette divergence, et le défendeur peut en appeler au chara de Tunis, qui statue souverainement. — On entrevoit que ces garanties de la loi laissent place à bien des abus. — Quand le chara s’est prononcé, tout n’est pas fini cependant ; nous avons dit que les plaideurs étaient rarement satisfaits; il ne suffit pas de leur lire la sentence, il faut qu’ils en reconnaissent la justice; le cadi doit la discuter avec eux, la modifier au besoin, jusqu’à ce qu’elle soit acceptée de chacun. Un des adversaires résiste-t-il à outrance, on le met en prison, lui ou l’avocat qui le représente, aussi longtemps que dure son obstination.

Le chara applique la loi immuable, celle du Coran, vieille de douze siècles, très loin, par conséquent, d’être en harmonie avec l’état social du pays ; chaque jour y creuse de nouveaux vides ; la présence et les privilèges des étrangère dans la régence, l’extension des relations commerciales, les innovations des beys, le temps enfin, ont créé des besoins nouveaux. Les Romains complétèrent leur loi des douze tables en instituant la justice prétorienne ; de même les Tunisiens ont établi à côté du chara le tribunal de l’ouzara. La compétence de ce tribunal, qui n’est autre que le ministère (ouzir signifie ministre), a été déterminée par les lacunes de l’ancienne législation et aussi par l’usage. Dans les questions de mariage, divorce, filiation, tutelle, succession, en général toutes celles qui concernent le statut personnel, dans les contestations relatives au droit de propriété des immeubles, le ministère n’est pas compétent ; pour les autres affaires, la loi qu’il applique, faute d’un texte, c’est la coutume. Mais, peu à peu, une jurisprudence s’est formée, et, comme on a fini à Rome par réunir les édits des préteurs, on a codifié depuis notre occupation un certain nombre des décisions de