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Elle était redevenue calme et souriante, elle n’avait plus de colère, la sincérité de l’aveu l’avait adoucie :

— Mon pauvre père Rousselin, lui dit-elle, le printemps vous enivre sans doute. Je ne comprends pas bien ce que vous me dites, je sais seulement que vous parlez d’amour. Sérieusement, vous n’avez pas réfléchi ? — Puis, le prenant par le bras comme un enfant, elle le conduisit devant la glace. Le hasard fit que leurs deux images se trouvèrent ainsi dans le même cadre.

La vérité se montra brutale : à côté de la tête jeune, blonde, pâle, élégante, austère de la jeune femme, apparut la face rubiconde, congestionnée d’émotion, du vieil homme. La saillie des pommettes, la hauteur du front dénudé, les yeux allumés, la lèvre lippue et rasée, la perruque en désordre, donnaient à sa face une tournure étrange que faisait ressortir encore le contraste de sa voisine. Pourtant l’humilité de son attitude était touchante, il semblait demander la charité.

Il fallait se fâcher ou bien rire de la déclaration, l’honnête fille obéit au second parti : elle s’en alla par la chambre, poussée par une gaîté folle qu’elle ne pouvait contenir.

Lui, restait tremblant, adossé contre la muraille, brise par l’effort qu’il avait fait, plus encore par la cruauté qu’il venait de subir. Il ressemblait à un chien qu’on vient de battre ; il prit son chapeau, son instrument et sortit écrasé.

Elle essuya ses yeux que le rire avait remplis de larmes, rappela le professeur qui marchait dans la cour, et s’efforça d’oublier l’incident.

Dans sa vie de femme sans défense, combien avait-elle subi d’assauts plus redoutables !


V.

Celui qui était venu si malencontreusement déranger l’entretien, et, sans le vouloir, en détourner le cours, était un nouvel arrivé dans le collège.

Simon Carmejade avait été nommé à la classe d’histoire par une faveur due évidemment aux opinions avancées dont il faisait grand étalage. La révolution de février l’avait surpris échoué dans une modeste institution de province ; il y faisait moins d’histoire que de propagande révolutionnaire. C’était un convaincu, un de ces illuminés qui aurait mis le monde à feu et à sang pour le triomphe de ce qu’il appelait ses principes.

Son père, instituteur d’une petite commune du Midi, avait obtenu une bourse pour lui au collège communal le plus voisin. Il avait reçu là une instruction assez décousue. Esprit mal ordonné, il était