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L’exploitation de l’Arabe par le fonctionnaire persan ressemble à une véritable curée. Les Téhérani, que la débauche ou le jeu ont ruinés et qui ne peuvent, à cause de la grande concurrence, refaire leur fortune à la cour, partent pour l’Arabistan, et l’impôt va toujours en croissant, car le seul principe économique, en pareille matière, est de faire rendre à chacun tout ce qu’il peut. Les nomades qui ont besoin d’un grand territoire et d’un grand calme pour nourrir leurs troupeaux dont ils vivent, sont obligés de payer. La résistance leur est impossible : quelques cavaliers battant la plaine et empêchant les troupeaux de sortir ou seulement de paître librement, et voilà la tribu affamée. La seule ressource qu’ils aient, c’est de fuir vers la Turquie, au long de la Karkhah, dans ces territoires qui, en droit, appartiennent à la Perse, mais qui, en fait, n’ont point de maîtres. Ils ont parfois recours à ce moyen extrême, et le gouvernement, privé de l’impôt régulier pour avoir trop voulu exiger, est obligé de faire des concessions. Une tribu fuit aussi parfois lorsqu’elle se trouve opprimée par un grand cheik. Dans ces conditions, dégagés de tout lien, les Arabes donnent libre cours à leurs instincts pillards que ne tempère plus la crainte d’un fort impôt extraordinaire au cas où ils seraient découverts, et il est fort dangereux de les rencontrer sur son chemin.

Les territoires désertés qui environnent Ham-Hormuz ont été envahis par ces tribus fugitives. Faute de guide, nous étions forcés de faire route le jour seulement ; nous avions résolu dépasser la nuit à Sultanabâd, village abandonné et ruiné; une seule famille d’Arabes, n’ayant rien à perdre, n’avait point fui. On nous avait bien parlé de pillards; mais, néanmoins, nous nous préparions à dormir lorsque notre domestique vint nous avertir que plusieurs hommes s’approchaient de nous en rampant à terre pour se dissimuler. Nous envoyons quelques balles dans cette direction, un bruit, de pas précipités se fait entendre : les Arabes ont manqué leur coup et s’enfuient. Trois fois dans la nuit ils reviennent à la charge, et ils sont toujours reçus à coups de fusil. D’ailleurs, ils n’insistent pas; voyant qu’ils ne peuvent nous surprendre endormis et que nous sommes sur nos gardes, ils se retirent, n’osant affronter en face des armes qui font de si terribles détonations et dont ils ont admiré le mécanisme dans la journée. A l’aurore, un des Arabes restés dans le village consent à nous servir de guide, en nous recommandant, par-dessus tout, de casser la tête sans pourparlers à quiconque s’approcherait, sous n’importe quel prétexte, pour prendre la bride des chevaux. Nous longeons une épaisse forêt de saules» De temps en temps, de petits groupes d’Arabes en sortent avec leurs longs fusils sur l’épaule; rien dans leur aspect général n’annonce l’honnêteté.