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proposèrent de faire l’abandon de leur fortune et de l’offrir à la Convention; mais la majorité repoussa cette motion, qui eût paru un aveu de culpabilité[1], et décida de s’adresser à l’assemblée pour obtenir que les fermiers-généraux pussent se rendre à la maison des Fermes, où ils s’engageraient à rester jusqu’à l’apuration de leurs comptes. La demande, rédigée par Delahante, fut envoyée au président de la Convention, qui la transmit immédiatement au comité des finances. Lavoisier était loin de partager la confiance de la plupart de ses collègues. Une lettre écrite à sa femme le 29 frimaire (19 décembre 1793) nous fait connaître les pensées qui occupaient son âme ; dans les premières lignes, il semble prévoir un sort funeste, puis, craignant sans doute d’attrister sa compagne, il se borne à faire allusion à la perte probable de sa fortune.

« Tu te donnes, ma bonne amie, bien de la peine, bien de la fatigue de corps et d’esprit, et moi je ne puis la partager. Prends garde que ta santé ne s’altère, ce seroit le plus grand des malheurs. Ma carrière est avancée, j’ay joui d’une existence heureuse depuis que je me connois, tu y as contribué et tu y contribues tous les jours par les marques d’attachement que tu me donnes; enfin je laisserai toujours après moi des souvenirs d’estime et de considération. Ainsy ma tâche est remplie, mais toi qui as encore droit d’espérer une longue carrière, ne la prodigue pas. J’ay cru m’appercevoir hier que tu étais triste; pourquoi le serois-tu, puisque je suis résigné à tout et que je regarderai comme gagné tout ce que je ne perdrai pas. D’ailleurs nous ne sommes pas sans espérance de nous rejoindre et, en attendant, tes visites me font encore passer de doux instans. »

Les jours s’écoulaient ; quelques amis osèrent tenter des démarches en sa faveur ; la commission des poids et mesures, qui avait perdu en lui le plus actif de ses membres et le vrai directeur de ses opérations, réclama sa mise en liberté le 28 frimaire (18 décembre) auprès du comité de sûreté générale : la demande est signée du président Borda et du secrétaire Haüy, qui, prêtre insermenté, ne craignait pas d’attirer l’attention sur lui-même en prenant la défense d’un suspect, La commission faisait remarquer que les travaux sur la dilatation des métaux et sur la détermination des poids et mesures étaient interrompus par la détention de ce citoyen, et qu’il était urgent qu’il pût être rendu aux travaux important qu’il a toujours suivis avec autant de zèle que d’activité. Le comité de sûreté générale passa à l’ordre du jour, sans discussion,

  1. M. Wallon avance à tort, dans son Histoire du tribunal révolutionnaire, que les fermiers-généraux offrirent 2 millions de livres.