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cy-devant commissaire de la Trésorerie nationale, de la cy-devant Académie des sciences, membre du Bureau de consultation des arts et métiers, cultivateur dans le district de Blois, département du Loir et du Cher, a fait pour la révolution, il rappelait ses travaux scientifiques, ses recherches agricoles, son rôle aux assemblées provinciales, à l’assemblée constituante, à la commune de 1789, à la trésorerie nationale, au bureau de consultation, au comité des assignats et monnaies, à la commission des poids et mesures, au comité de salubrité, ses services comme garde national en activité dès les premiers instans de la révolution.

Cependant Dupin devait bientôt présenter son rapport sur les comptes des fermiers-généraux; quelques amis de Lavoisier voulurent tenter des démarches en sa faveur, il s’y refusa, paraît-il, de peur de les compromettre. Un membre de la Convention, Pierre Loysel, ancien directeur de la fabrique de Saint-Gobain, s’efforça de sauver le savant avec lequel il avait entretenu d’amicales relations; ses efforts furent impuissans. Mme Lavoisier, bravant le décret qui exilait de Paris tous les ex-nobles, essaya jusqu’au dernier moment de soustraire son mari au jugement du tribunal révolutionnaire; mais, d’après Cadet-Gassicourt, elle l’aurait, au contraire, compromis par son humeur altière. Un chimiste, négociant de la rue des Lombards, du nom de Pluvinet, fournisseur du laboratoire de Lavoisier, avait conçu le projet de le sauver en faisant intervenir Dupin lui-même. Pluvinet connaissait la belle-sœur du conventionnel, femme de mœurs légères, qu’il intéressa à son projet; celle-ci obtint de Dupin que Lavoisier serait séparé de ses collègues, transféré dans une autre prison, et que le rapport ne lui serait point défavorable. Mais Dupin se plaignit de n’avoir pas reçu la visite de Mme Lavoisier, lui reprochant de l’avoir fait solliciter par des aristocrates comme elle et de n’avoir pas daigné se présenter elle-même. Mme Lavoisier, avertie par Pluvinet, se rend chez Dupin; mais, au lieu d’arriver en suppliante, elle déclare qu’elle ne vient point solliciter la pitié pour Lavoisier, qu’il est innocent, que des scélérats seuls peuvent l’accuser : « Lavoisier, dit-elle, serait déshonoré s’il séparait sa cause de celle de ses collègues; on en veut à la vie des fermiers-généraux pour avoir leur fortune; s’ils périssent, ils mourront tous innocens. » Dupin, irrité de cette attitude, resta depuis sourd à toutes les supplications.

Le narrateur, en blâmant la conduite de Mme Lavoisier, oublie qu’elle ne pouvait demander la grâce de son mari seul, en abandonnant à l’échafaud son père, qui était au nombre des prévenus; et quand Mme Lavoisier accuse les savans de la mort de son mari, Cadet-Gassicourt est-il en droit de la taxer d’injustice, en présence du silence prudent qu’ont gardé les collaborateurs de Lavoisier?