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Le quatrième acte, à vrai dire, est quelque peu incohérent; mais dans ce désordre, — j’en demande pardon aux censeurs, — je distingue des germes de psychologie. Sarah feint de croire que Blanche s’est sacrifiée en acceptant ce mariage ; elle lui propose de le rompre; Blanche lui répond de la bonne manière : « Vous mentez en prétendant chercher mon intérêt; vous ne poursuivez que celui de votre passion. » Mais Sarah, aussitôt : « Et vous-même? A nous sauver tous, ne trouvez-vous pas votre avantage? » Alors cette conscience délicate s’inquiète : ce point me paraît touché subtilement. Comme, d’ailleurs, le caractère de l’ouvrage est le romanesque, la pauvrette se laisse emporter par son zèle : pourvu que Sarah renonce à Séverac, elle s’engage à le quitter elle-même, dans une heure, après la cérémonie nuptiale. Et Séverac, on le sait, se prêterait à cet accommodement, pourvu que sa femme lui promît de bien soigner sa mère. Mais, tandis que le mariage est célébré, Sarah, par une inspiration étrange, avoue son crime au général. Ce représentant de l’armée de terre lui pardonne avec la magnanimité d’un marin de M. Dumas : serait-il sorti de l’infanterie de marine? Après ce pardon, autre coup de théâtre, assurément préférable : « Je le tuerai ! » s’écrie Canalheilles. Sa femme l’arrête : « Elle l’aime! » Elle, c’est Blanche, la nièce, presque la fille, du vieillard offensé ; en fera-t-il une veuve? Il est pris entre sa rancune d’époux et son amour quasi paternel. Et c’est sa femme, la rivale vaincue de Blanche, qui, au lieu de le pousser à leur commune vengeance, le désarme : ce trait encore n’est pas mal trouvé. Mari et femme, après cela, nagent de conserve dans le sublime : le confesseur, pour pénitence, ordonne à la coupable de rendre à Blanche sa parole ; elle s’y résout avec ivresse. Le bon ange, avec l’agrément du mauvais, emporte sa proie en paradis : que M. et Mme Séverac soient heureux !

Ils le sont, en effet, à la cantonade : nous en recevons l’assurance au dernier acte, et c’est le meilleur effet de cet épilogue, — pour l’appeler de son vrai nom, — qui ne laisse pas d’être enfantin. Au bord d’un lac d’Irlande, Sarah intercepte un billet de Blanche, annonçant au général un petit-neveu ou une petite-nièce. Après le mariage, la maternité ! c’est de l’indiscrétion ! L’âme blonde triomphe à l’excès ; l’âme rousse, déjà languissante, s’incline vers les eaux du lac et s’y laisse tomber pour éteindre ses feux. Le général survient, avec Merlot, avec Frossard, devenu gendre de Merlot et adoré de son beau-père ; la compagnie retrouve le voile de Sarah parmi les roseaux, et ne recherche rien de plus : tout cela est bien qui finit mal, puisque cette fin est l’abolition du méchant principe, à l’heure même où est garantie la perpétuité du bon. — Avais-je tort d’insinuer que cet ouvrage est un conflit de forces primitives; qu’il acquiert, pour des yeux philosophes, la valeur symbolique d’une moralité, qu’il satisfait pleinement