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Les expéditions du printemps prochain, qui donc allait les diriger en chef ? La nomination de La Moricière à la division d’Oran n’était-elle pas l’indice d’un changement plus considérable ? La Moricière n’était-il pas un précurseur? Pendant trois années, le maréchal Valée avait donné sa mesure ; l’expérience de sa méthode était largement faite; qu’avait-elle produit? Sauf un cas unique d’offensive, l’assaut du col de Mouzaïa, toutes ses opérations militaires n’étaient qu’escortes de convois et ravitaillemens. On savait de reste ce que valaient les postes retranchés et le système d’attente. N’était-ce pas au tour des colonnes mobiles et du système d’action de faire leurs preuves? C’était de ce côté-là qu’inclinait visiblement déjà le cabinet que présidait M. Thiers, Celui qui lui succéda, le 29 octobre 1840, sous la présidence nominale du maréchal Soult, sous l’autorité réelle de M. Guizot, ministre des affaires étrangères, et du comte Duchâtel, ministre de l’intérieur, décida la question en tranchant résolument dans le vif. Le 29 décembre, une ordonnance royale releva de ses fonctions le maréchal Valée et nomma le général Bugeaud à sa place. L’affaire d’Algérie allait entrer dans une phase absolument nouvelle.


L’Algérie, comme l’ancienne Grèce, a eu ses Temps héroïques son âge légendaire. J’appelle de ce nom les dix années, de 1830 à 1840, dont la période s’achève avec ces lignes. C’est une ère confuse, incohérente, pleine de disparates, mais qui, ce me semble, ne manque ni d’originalité ni de grandeur. Les hommes y sont livrés à eux-mêmes, dans le libre jeu de leurs qualités et de leurs défauts, sans direction, sans contrôle, aux prises avec des difficultés de toute sorte. La France hésite ; dix fois, elle semble près de renoncer à cette lutte ingrate, d’abandonner cette Afrique dévorante : l’honneur la retient cependant, et ce sont des défaites à venger qui l’enracinent dans un sol imprégné de son sang. En face d’elle et par elle a grandi un Arabe de génie; lui seul a de la persévérance, un dessein suivi, une volonté que rien ne décourage : c’est un caractère. Mais voici qu’en face de lui va se dresser, à son tour, un homme de guerre à sa taille, aussi persévérant, énergique, résolu, qui, après avoir d’abord hésité lui-même, entraînera dans son élan les hésitations de la France. Avec lui, tout se range, tout s’organise, tout se règle.

Chez les Grecs, les Temps héroïques ont pris fin quand s’est ouverte la grande histoire. La grande histoire en Algérie s’ouvre avec le général Bugeaud. Son avènement clôt décidément pour nous les Commencemens d’une conquête.


CAMILLE ROUSSET.