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De plus, j’ai expliqué par quelle singulière capitulation de conscience Auguste III en était venu à se laisser gouverner à la fois par un ministre protestant, le comte de Brühl, et un confesseur jésuite, le père Guarini. Ce ménage mixte convenait assez au peuple saxon, qui ne partageait pas la foi religieuse de la famille régnante. Le protestant rassurait les sujets contre les atteintes que le souverain aurait pu porter à la liberté de leur culte, tandis que le confesseur calmait les scrupules du souverain lui-même sur les concessions qu’il devait faire à l’hérésie. Mais l’accommodement conviendrait-il autant à l’Allemagne tout entière, où les divisions religieuses, à peine assoupies, étaient toujours à fleur de terre, et où la moindre atteinte portée à l’équilibre très instable établi par la paix de Westphalie entre les diverses, confessions pouvait soulever des nuages ? De quel œil les états catholiques verraient- ils un disciple de Luther devenu l’alter ego du chef du saint-empire ? Et les protestans, à leur tour, se soucieraient-ils de rendre leurs hommages au pénitent d’un jésuite ? Le plus sûr, pour l’un comme pour l’autre des deux favoris, était de détourner un surcroît d’honneur qui, en relevant la dignité de leur maître, aurait compromis leur fortune et leur crédit personnels.

Si donc il eût été nécessaire de faire à l’offre de Valori une réponse catégorique et immédiate, nul doute que souverain et ministres n’eussent été d’accord pour repousser le calice à peine doré qu’on leur présentait. Mais la décision n’était en réalité pas si pressante : dans l’état de trouble de l’Allemagne, l’élection impériale ne pouvait avoir lieu avant quelques mois, peut-être avant la fin de l’année courante. D’ici là, qui pouvait savoir ce qu’amènerait la fortune des armes et les retours souvent imprévus de l’opinion publique ? Les peuples, lassés de la guerre, pouvaient, à un jour donné, jeter d’eux-mêmes les yeux sur un choix qui ne serait le triomphe d’aucun parti, mais au contraire un gage de conciliation et de paix. Marie-Thérèse elle-même, ou vaincue ou découragée, pouvait finir par s’y résigner, surtout si on réservait pour l’avenir au jeune archiduc son fils l’espoir d’obtenir la dignité qu’elle n’aurait pu conférer à son époux. Ce rôle d’arbitre accepté de tous et de médiateur suprême aurait sa grandeur, exempte de périls. On pouvait le laisser venir sans se compromettre, et sans se hâter d’y renoncer par avance. En attendant, le traité de Varsovie n’étant pas encore ratifié, la menace d’une candidature rivale dont on ferait peur à Marie-Thérèse pouvait aider à y introduire des stipulations nouvelles contenant, en faveur de la Saxe, des avantages nouveaux qu’on n’avait pas pu obtenir, ou qu’on n’avait pas osé demander.