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pas seulement sur des chiffres et sur des comparaisons numériques qu’il en faut juger; elle dépend aussi de son crédit, des rapports qu’il entretient avec ses voisins et des liaisons qu’il a su contracter avec eux. Or, à ce point de vue, jamais peut-être la France n’avait été mieux partagée. Jamais sa force offensive et défensive n’avait été mieux appuyée. Par le traité de 1756, elle avait mis dans son jeu l’une des quatre grandes puissances, l’Autriche, et s’était assurée de son concours en cas de guerre continentale, concours qui entraînait celui de la Toscane[1]. D’un autre côté, par le pacte de famille, elle tenait l’Espagne, Parme et Naples; par les mariages du comte de Provence et du comte d’Artois avec des princesses de la maison de Savoie, la Sardaigne. Si bien qu’à l’abri de toute agression aux Pyrénées, sur les Alpes, en Flandre et même sur ses côtes, par la réunion de la flotte espagnole à la sienne, elle était libre de porter la majeure partie de ses forces sur le Rhin, tandis que la Prusse et la Russie, prises entre plusieurs feux, menacées au nord, à l’ouest, au sud, se voyaient condamnées, sur presque toutes leurs frontières, à une pénible défensive.

Tels étaient, en 1789, les nombreux et puissans intérêts qu’une diplomatie prévoyante avait su grouper autour du trône. Dans ces conjonctures, et quels que fussent d’ailleurs les inconvéniens du système autrichien, l’insuffisance numérique de l’armée royale se trouvait largement compensée. Ainsi soutenue, la France était, suivant l’expression d’un des meilleurs esprits de l’époque, le comte de Ségur, « inattaquable avec avantage, quand bien même toutes les puissances de l’Europe auraient fait une ligue contre la maison de Bourbon : 24 à 25 millions d’habitans[2], des frontières bordées par deux mers, des ports magnifiques, bien approvisionnés en tout genre, des places de guerre bien fortifiées, soutenues, dans beaucoup de parties, de deux et quelquefois de trois lignes; d’autres places d’un ordre inférieur, un militaire nombreux, bien discipliné et bien entretenu, dont la valeur était reconnue; le pacte de famille entre toutes les branches régnantes de la maison de Bourbon qui assurait toutes les frontières méridionales, tout enfin paraissait propre à inspirer au gouvernement une sécurité parfaite... »

  1. L’empereur était grand-duc de Toscane. Quant au duc de Parme et au roi de Naples, un des articles portait qu’ils seraient invités à accéder au traité.
  2. C’est aussi le chiffre que donne Guibert dans sa Défense du système de guerre moderne, d’après Moheau.