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questions de sentiment et qui prend le mal au début, afin d’en limiter l’expansion et la contagion. Une loi semblable serait-elle possible en notre pays ? J’en doute, et cependant le bon moyen de diminuer la population des maisons centrales est d’augmenter celle des écoles où l’enfant vicieux est soumis à un régime qui peut provoquer sa guérison. En présence de l’encombrement des pénitenciers et de l’augmentation presque régulière des récidives, on ne saurait faire trop d’efforts pour préserver l’enfance de toute contamination.

M. le pasteur Robin était et est encore un membre actif de la Société de patronage des libérés protestans, qui est née à la même époque que celle que fonda M. de Lamarque, et dont M. Bérenger est actuellement le président[1]. C’est sur cette société qu’il voulut s’appuyer pour créer une œuvre de protection en faveur de l’enfance, mise en péril par les fréquentations malsaines et l’absence de toute direction morale. Je crois bien qu’il fit un essai personnel avant de s’adresser à ses coreligionnaires. Il recueillit deux enfans abandonnés ou qui s’étaient évadés de la maison paternelle ; ils n’avaient ni feu ni lieu, vivaient comme des sauvages, hargneux et grossiers, sachant éviter a les cognes, » qui sont les gardiens de la paix, dépenaillés, dormant de ci, de-là, au hasard du gîte qu’ils découvraient, et se préparant une existence dont le bagne aurait vu la fin. L’un d’eux n’était pas seulement un vagabond, c’était un voleur, assez adroit pour ne s’être jamais laissé surprendre, mais de main alerte et peu scrupuleuse. Le pasteur y mit du zèle, car il a réussi dans la tâche qu’il avait entreprise. Sous son influence, ces deux vauriens se sont relevés. L’un est un bon ouvrier ; l’autre s’est engagé lorsque son âge le lui permit. Dernièrement, il est venu voir le pasteur Robin, qui a eu quelque peine à le reconnaître sous le costume d’un officier décoré de la médaille militaire, mais encore un peu pâle d’une blessure reçue dans un pays que l’on peut deviner, mais dont je ne prononcerai pas le nom. Il disait au pasteur : « Jamais je ne pourrai m’acquitter de ce que je vous dois ; c’est vous qui m’avez sauvé. » Le pasteur lui demanda : « Maintenant, qu’allez-vous faire ? » Il répondit : « Travailler, travailler sans cesse, et travailler encore, afin de réparer le temps perdu et de ne point faire rougir de moi le corps d’officiers auquel j’ai l’honneur d’appartenir. » M. le pasteur Robin aime à citer cet exemple, et l’on ne saurait l’en blâmer.

Encouragé par ce premier succès, qui n’était alors qu’à l’état de promesse, le pasteur provoqua une réunion de ses coreligionnaires afin de procédera la fondation d’une société de protection pour les

  1. Voir, dans la Revue du 15 avril, le Patronage des Libérés.