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paysage, ici encore, une vue du Paris au XIIe siècle, occupe tout le fond de la scène et contribue puissamment à lui donner sa date et sa signification. La vieille basilique mérovingienne qu’on est en train de démolir dans la Cité, les ruines de la colonnade antique qui s’échelonne sur la rive droite, l’édifice isolé qui s’élève au loin sur la cime déserte de Montmartre, sont des détails exacts que l’artiste a su placer avec intérêt dans l’horizon calme et lumineux sur lequel se détachent doucement les silhouettes du vaillant théologien et de ses auditeurs attentifs. Si, pour la disposition et pour l’éclairage de ce paysage magnifique, M. Flameng n’a consulté que la nature et les maîtres français, il s’est adressé à l’Italie pour les poses et les gestes de ses auditeurs ; bien que les bas-reliefs de Notre-Dame sur ce sujet lui eussent pu fournir des renseignemens suffisans, nous ne songerions pas à lui en faire un reproche, s’il s’en était tenu à consulter les graves et sévères Florentins du XVe siècle ; mais, dans son enthousiasme pour ces maîtres incomparables, il s’est laissé entraîner jusqu’au XVIe siècle. Entraînement facile à comprendre, on l’avouera, et que M. Flameng n’est pas le premier à subir ; de Ghirlandajo à Michel-Ange, de Michel-Ange à Primatice, la pente est glissante : ne s’y tient pas qui veut ! Parmi les auditeurs d’Abélard, on reconnaît Michel-Ange assis, à l’arrière-plan ; cela toutefois n’est point pour nous choquer. Le masque écrasé et puissant de Buonarotti n’est jamais déplacé dans un groupe de penseurs. Ce qui nous blesse bien plus, comme un anachronisme d’imagination, c’est l’agitation, sur les épaules de quelques écoliers, de ces vastes draperies soufflées et ronflantes, aux couleurs passées, dans lesquelles les géans musculeux de la Sixtine se peuvent seuls débattre sans s’y empêtrer. Quelques autres souvenirs du Vatican, notamment le liseur exaspéré, qui, de face, compulse, d’un geste orageux, les feuillets agités d’un énorme manuscrit, contrastent encore avec l’aspect général de la scène, ainsi qu’avec la tenue calme et réservée, plus conforme à la vraisemblance, de la plupart des auditeurs aux profils ascétiques et vêtus d’étroits bliaux. La tête brune, douce, convaincue, du jeune Abélard, est d’un beau caractère, très celtique et très ecclésiastique, mais prendrait mieux sa valeur si le corps avait plus de souplesse sous sa longue tunique rouge d’un ton vif et discordant. Le souvenir des miniatures du moyen âge est resté trop présent ici à l’esprit de l’artiste, comme plus loin celui des fresques du XVIe siècle. Imperfections de détail, inégalités d’exécution, dernières traces d’études consciencieuses, qu’une révision attentive peut aisément faire disparaître, mais qui n’enlèvent point leur prix à ce travail estimable. Il est probable que la mise en place prouvera à M. Flameng la nécessité