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voit une jeune nymphe inquiète et tremblante sous un ciel d’automne menaçant, près d’un petit faune effaré qui se tapit en grelottant le long d’un tronc d’arbre jauni, est une composition plus originale. M. Berton, dont on avait déjà remarqué des essais distingués, continue à poursuivre, dans l’atmosphère mystérieuse qu’ont aimée Léonard et Prudhon, des rêves pâles de beautés souriantes et mélancoliques. Il a de la distinction, de la tendresse, du charme ; il réussira, s’il est pénétré, comme ses maîtres, de la conviction que plus le rêve est vague, plus sa forme doit être palpable.

M. Carolus Duran ne se perd pas dans les rêves ; ce qu’il aime, c’est la réalité ; il la saisit d’ordinaire, avec une verve communicative et joyeuse, dans l’éclat puissant et sain de ses plus vives couleurs. Son Andromède, immobile devant son rocher, attendant, avec une tranquillité païenne, son libérateur, est une de ces études franches et savoureuses comme il se plaît à en faire de temps à autre. L’Andromède compose, avec la Madeleine de M. Falguière et l’Hérodiade de M. Henner, un trio de morceaux de bravoure dont il ne faut pas trop approfondir la signification mythologique ou évangélique, mais qui sont un régal pour tous les yeux sensibles à la musique des belles couleurs et aux raffinemens des pinceaux expérimentés. Le beau corps ferme de l’Andromède étalant sa splendeur cambrée dans la pénombre marine, les carnations brunes et souples de la Madeleine assise dans de vagues rochers, la jolie figure ivoirine, mystérieuse et pensive de la petite Hérodiade cachant le chef sanglant de saint Jean dans une ombre indécise, n’ajoutent certainement aucun commentaire sérieux aux légendes antiques, mais ce sont des peintures excellentes dans lesquelles l’œil charmé trouve une satisfaction durable. L’Hérodiade de M. Henner, notamment, la seule de ces figures où l’expression étrange et pénétrante de la physionomie s’ajoute à la qualité de l’exécution, laisse une impression profonde et douce comme son Orpheline d’autrefois. La gamme de M. Henner est toujours très restreinte ; cette fois, à son noir et à son blanc, qu’il réveillait parfois d’une pointe de bleu, il a ajouté une note rouge, d’un rouge vif et retentissant, très surprenant et très particulier. On retrouve cette note rouge dans le manteau d’une Créole en buste, exposée à côté de l’Hérodiade. Cette créole, qui semble un portrait, est une étude de jeune femme, aux cheveux soyeux, aux yeux bleus et clairs, aux chairs délicieusement pâles, d’un charme extraordinairement vif et pénétrant. Dans les ouvrages de ces trois virtuoses, MM. Carolus-Duran, Falguière, Henner, il y aurait bien, pour les puristes, plus d’une négligence et plus d’une incorrection à signaler, mais il faut prendre ces études pour ce qu’elles sont, des études exquises faites par les derniers maîtres du pinceau,