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principal, a sous ses ordres comme subordonné, non pas un professeur titulaire de la faculté, mais un de nos agrégés, un de nos chirurgiens des hôpitaux. Que va-t-il arriver ? Tous les médecins civils du service, temporairement militaires, se grouperont autour de ce subordonné, qui pourra n’être qu’aide-major de deuxième classe (lieutenant), mais qui a un nom dans la science, tandis que celui de son chef hiérarchique (lieutenant-colonel ou colonel) y est aussi inconnu que possible. Ils se grouperont autour de ce subordonné, les plus âgés parce qu’en science on ne reconnaît d’autre supériorité que celle du mérite, les plus jeunes parce que, dans ce médecin subalternisé de par la loi, ils retrouvent leur maître, celui qui, à l’école ou à l’hôpital, leur a enseigné ce qu’ils savent, tous parce qu’en regardant agir, en écoutant ce subalterne, ils continueront à recevoir les leçons d’un maître, à augmenter leurs connaissances. Il en sera de même du personnel inférieur, puisque la grande majorité des infirmiers de visite sera constituée par les étudians en médecine, appelés au service par la mobilisation. C’est déjà l’isolement du chef hiérarchique ; mais ce n’est pas tout. Il arrivera fatalement, non pas une fois, mais dix fois, vingt fois, que le diagnostic porté par le supérieur sera fort différent de celui qu’aura porté l’inférieur et que celui de l’inférieur sera le diagnostic vrai. Il arrivera fatalement que l’opération proposée par le supérieur ne sera pas celle que l’inférieur, plus expérimenté, plus instruit, plus sagace, aurait cru convenable ou utile. Qu’on ne discute pas un ordre militaire donné par un chef militaire, rien de mieux ; mais un diagnostic se discute, l’opportunité d’une opération se discute : qu’est-ce qu’une consultation médicale, sinon la discussion des symptômes et des indications thérapeutiques ? Le personnel médical aura donc à chaque instant, au point de vue scientifique, à prendre parti pour l’un ou pour l’autre ; combien de fois se rangera-t-il, en cas de divergence d’opinion, du côté du supérieur ? Comment veut-on qu’un service marche dans ces conditions ? Ne voit-on pas poindre à chaque instant des conflits d’amour-propre et même des conflits plus graves ? Ici, ce n’est pas la hiérarchie qui règle le différend et qui prononce, c’est quelque chose de plus fort que l’autorité du grade, de plus fort encore que la loi : ce quelque chose, c’est la vérité, c’est le fait matériel éclairé, soit par la guérison, soit par l’autopsie. Il faut, je l’ai dit et je le répète : un chef qui commande, des subordonnés qui obéissent ; mais il faut aussi the right man in the right place ; et si l’on veut la discipline, c’est-à-dire l’obéissance du subordonné, l’autorité pour le chef, il faut que le chef soit supérieur au subordonné par le savoir et par l’expérience.

Dans l’armée, le capitaine obéit à l’ordre du colonel, parce qu’il