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Cueillez toutes les fleurs et parez-en vos têtes,
Mêlez tous les plaisirs, unissez tous les jeux,
Souffrez le plaisant même, il faut de tout aux fêtes,
Et toujours les héros ne sont pas sérieux.
Enchanté d’un loisir, hélas ! trop peu durable.
Ce peuple de guerriers, qui ne parait qu’aimable,
Vous écoute un moment et revole aux dangers.


C’était bien là l’état d’esprit de toute la vive jeunesse qui, pendant la représentation, bourdonnait, dit encore Voltaire, comme une ruche d’abeilles autour du roi, prête à combattre demain d’aussi grand cœur qu’elle s’amusait aujourd’hui, et ne cherchant à attirer les regards du prince que pour être appelée à l’honneur de le suivre sur le champ de bataille. Un document du ministère de la guerre nous apprend que l’escorte royale se composait de seize grands officiers et de cent dix-sept de moindre rang, mais tous également attachés à la personne du prince. On juge si ces désignations étaient recherchées, et c’était à qui saurait se faire remarquer au milieu même des danses, ou à la sortie du théâtre, pour obtenir au feu la place d’honneur. Pour achever de donner à ce départ, préparé avec tant de gaîté et d’entrain, tout à fait un air de fête, il aurait fallu, comme l’année précédente, un cortège féminin. Mais personne ne remplaçait l’altière Châteauroux dans la prétention d’accompagner et même de guider le roi dans le chemin de la renommée. Non que sa place fût restée longtemps vide, car on savait déjà quel nouvel attrait avait consolé son amant de sa perte. Tout le monde murmurait le nom d’une jeune beauté qui avait paru à l’un des bals de l’Hôtel de Ville avec un éclat inattendu, et que le roi n’avait pas quittée un instant du regard pendant toute la soirée. Mais ce nom était celui d’une famille bourgeoise, sans aucune relation avec les puissances connues de la cour. Antoinette Poisson, fille d’un intendant aux vivres et femme du fermier-général Lenormand d’Etioles, n’avait pas même une entrée de droit à Versailles, et si le bruit était déjà répandu que, grâce au valet de chambre Binet, son parent, elle y pénétrait le soir par des cabinets dérobés, personne ne croyait à la durée d’un caprice qui n’osait pas s’avouer tout haut. La nouvelle favorite, ayant encore tout à recevoir, n’avait le droit de rien exiger. Il fallait donc renoncer pour cette fois à mêler l’amour à la gloire. Mais en revanche, sûre de ne pas faire de rencontre gênante, la nouvelle dauphine sollicitait de la reine la permission de suivre son mari à l’armée : car cette fois le noble adolescent, bien qu’à peine âgé de seize ans, avait réclamé tout haut le droit d’aller combattre, ne voulant pas admettre qu’assez homme pour être époux, il ne le fût pas assez pour être soldat. La princesse ne