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des petits[1]. » Le cabinet britannique, tout le premier, oubliant les intentions pacifiques et modérées dont il avait été animé à son début, cédait à cet entraînement patriotique. Pour assurer à l’Angleterre la première place et le grand rôle dans la destruction anticipée de sa rivale, il avait réclamé et obtenu que le commandement supérieur des forces alliées fût confié à un prince anglais, le duc de Cumberland, second fils du roi George, à peine âgé de vingt-deux ans, mais déjà célèbre par sa valeureuse conduite à la bataille de Dettingue. Cette prééminence lui fut d’autant plus facilement accordée que le seul général qui aurait pu la lui disputer, parce qu’il occupait le même poste dans la campagne précédente, le duc d’Arenberg, ne devait pas prendre part à la lutte. Dans le partage des forces de la coalition, il avait été convenu que le gros des troupes autrichiennes, sous la conduite de leur meilleur chef, irait prendre position sur les bords du Rhin pour faire face à l’armée du prince de Conti, les Allemands se chargeant ainsi de défendre le sol de leur patrie. Leur place devait être prise par les contingens hollandais, que les états-généraux venaient de voter sur la demande de Chesterfield. Il ne restait en fait de soldats de Marie-Thérèse que quelques milliers d’hommes, levés principalement dans les Pays-Bas autrichiens et conduits par le vieux Königseck, trop usé par l’âge et les fatigues pour prétendre au premier rang. Quant aux troupes hollandaises, les états-généraux, avec une maladresse qui ne leur était que trop ordinaire, au lieu d’en confier la direction au prince de Nassau, qui était le chef désigné, mais dont le nom seul effrayait leur jalousie bourgeoise, avaient été chercher en Allemagne un diminutif de souverain, le prince de Waldeck, personnage ridicule qui n’était connu que par des prétentions de vanité puérile. Aucun de ces noms ne pouvait soutenir un instant la comparaison avec celui d’un prince anglais. Le duc de Cumberland restait donc, malgré son âge, généralissime de fait encore plus que de droit, bien que, dans l’armée de 60,000 hommes qui allait marcher à sa suite, il ne comptât, en fait de sujets de son père, que 20,000 Anglais et 3,000 Hanovriens. C’était lui qui allait rencontrer sur le champ de bataille le roi de France et le dauphin. Jamais la lutte des deux nations, qui se provoquaient depuis tant de siècles sur les deux rives de l’Océan, n’avait pris à ce point le caractère d’un duel entre les deux royautés : on était reporté subitement à quatre cents ans en arrière, aux jours du prince Noir et du roi Jean, au lendemain de Crécy et de Poitiers.

  1. Latouche, agent français à Londres, à La Ville, à La Haye, 7 mai 1745. (Correspondance d’Angleterre — Ministère des affaires étrangères.)